Les PPFs savent déjà tout, mais sans nécessairement le savoir
- xavierblanc

- 29 sept. 2023
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 sept.

Aujourd'hui, certains cursus universitaires proposent des Bachelors et des Masters en Sciences du sport, comprenant des options en Sciences de l'entraînement. Cela témoigne de la professionnalisation croissante de l'entraînement sportif, tant en termes de statuts que de compétences. C'est également une occasion de valider et de valoriser les dernières avancées scientifiques dans ce domaine. Cependant, ces intentions portent en elles-mêmes des contradictions et des tensions qui peuvent générer des conséquences terrains négatives.

Premièrement, à mesure que la connaissance scientifique de l'entraînement progresse, la complexité du domaine se révèle davantage, ce qui entraîne une spécialisation accrue pour en maîtriser tous les aspects. Cela se traduit par l'émergence, au sein des staffs, de physiologistes, méthodologues, nutritionnistes, biomécaniciens, analystes, vidéastes, neuroscientifiques, GPSistes, dataïstes, et autres experts. Toutefois, cela soulève des problèmes de coordination et d'enjeux de pouvoir inhérents aux organisations humaines, étant donné que les frontières entre ces différentes disciplines sont souvent ténues et floues. Ainsi, la principale responsabilité de l'entraîneur en chef consiste désormais à bien gérer son staff d’entraîneurs experts afin d'assurer une unité d'action pour bien entraîner son équipe terrain.
Deuxièmement, il s’agit de prendre conscience que la (haute) performance concerne une population d'individus dont l'entraînement les a conduits à atteindre des niveaux d'excellence extraordinaires, les situant ainsi en dehors de la norme humaine. Cette réalité explique une préoccupation croissante pour l'individualisation de l'entraînement [1]. En effet, les théories d'entraînement sont validées scientifiquement lorsqu'elles sont testées sur un nombre significatif d'individus présentant des caractéristiques homogènes. En d'autres termes, les théories scientifiques de l'entraînement ne sont validées que par et pour la population en général, et non pour le sport de haut niveau ou en recherche d’excellence. D'autre part, il est courant de prendre pour modèle les méthodes d'entraînement qui gagnent ou qui ont gagné. Cependant, gagner dans le sport de haut niveau est par nature unique et singulier en étant le résultat d'un ensemble de facteurs spécifiques, y compris les caractéristiques individuelles des sportifs et les conditions environnementales. Par conséquent, il est extrêmement difficile de reproduire des résultats gagnants par des méthodes qui ont gagné par ailleurs.
Troisièmement, accorder le statut de Science à l'entraînement me semble être un abus de langage. L'entraînement sportif relève davantage d’un Art. Il nécessite d'harmoniser, pour chaque joueur, les interactions, collaborations, coopérations, contradictions, oppositions et concurrences de plus de 100'000 milliards de cellules en perpétuelle évolution. À cet égard, je doute fortement de la pertinence de l’utilisation des tests physiques, sachant qu'un joueur n'est déjà plus celui d'hier, pas encore celui de demain, et déjà différent de celui qu'il était il y a quelques minutes à peine. De même, les typologies visant à simplifier et catégoriser les fonctionnements et les préférences des joueurs par idéal-types ne peuvent être que descriptives, et non prescriptives ou prédictives. Elles peuvent aider à comprendre, mais ne garantissent pas des solutions adaptées à chaque individu.
Quatrièmement, la démarche scientifique généralement privilégiée pour valider les théories de l'entraînement est souvent hypothético-déductive. Dans cette approche, on part d'une hypothèse fondée sur une théorie scientifique, par exemple l'hypothèse (non validée) selon laquelle plus on soulève lourd en squat, plus on améliore sa vitesse de course. Si c’était le cas, alors les haltérophiles seraient les meilleurs sprinters. Ensuite, on teste l'existence ou la force de cette causalité en réduisant l'objet d'étude à un minimum de variables explicatives, en maintenant constantes les autres variables. Cependant, la complexité footballistique, donc sa multifactorialité, remet en question la pertinence de cette approche pour valider scientifiquement l'entraînement. Cela ne remet pas en cause la recherche scientifique, puisque la connaissance élargit nos horizons, nous rend libres et indépendants, et stimule ainsi qu’aiguise notre esprit critique, mais plutôt l’applicabilité et l’utilité de ses résultats sur le terrain.
Cette divergence crée une polarisation croissante entre les entraîneurs qui ont acquis leur savoir sur le terrain de ceux dont la connaissance de l'entraînement est principalement théorique. Cela ne signifie pas que la pratique et la théorie dans l'entraînement physique footballistique sont inconciliables. Bien au contraire si on adopte une approche inductive, ou empirico-inductive. Cette méthode s'appuie sur les observations du terrain pour formaliser les théories scientifiques, ce qui est essentiellement la démarche de tous les entraîneurs. Chaque semaine, leurs méthodes sont confirmées ou infirmées par les résultats des matchs, ce qui contribue à un savoir-faire brut qui va bien au-delà de ce que la science peut appréhender.
C'est pourquoi, je soutiens l'idée que les PPFs savent déjà tout, mais sans nécessairement le savoir consciemment. La théorie vient alors simplement expliquer ou renforcer ce savoir pratique, immanent, latent et tacite, en le rendant intelligible et lisible. Ainsi, je privilégierai toujours a priori l'expérience d'un entraîneur aux théories d'un expert, car le savoir du premier est le fondement même du savoir du second. Cela dit, les PPFs ne sont pas libres de faire n'importe quoi. En plus de maîtriser les principes de l'entraînement physique, ils ont aussi une responsabilité déontologique à penser leur pratique dans l'intérêt supérieur de leurs joueurs.
Pour penser leur pratique, je propose aux PPFs de la formaliser par des mots [2]. Je déplore le fait que la transmission du savoir-faire dans la préparation physique footballistique soit principalement orale et brutalement pratique. Les PPFs ont tout à gagner à réfléchir puis à formaliser leur manière de faire-faire, en allant au-delà de la simple répétition et réplication de ce qu'ils ont appris par ailleurs.
Cette absence de formalisation peut s'expliquer par la modestie des PPFs et/ou leur méconnaissance de l'étendue de leur propre savoir. Pourtant l’affaire est simple, puisque penser sa pratique consiste pour le PPF à se découvrir en faisant émerger de son être profond tout ce qu'il sait. Je crois effectivement, à l’instar de l’académicien François Cheng, que le savoir des PPFs réside plus dans leur être que dans leur savoir [3] ou encore que la formalisation d’un savoir, c’est « le fonds qui remonte à la surface » selon les mots de Victor Hugo. Cette étape franchie, il s’agira alors de tracer son sillon à l’exemple du laboureur de Boris Cyrulnick [4] guidé par les mots forts de Jean Cocteau « Ce que l'on te reproche, cultive-le parce que c'est toi ».
[1] Collectif sous la direction de Claude Colombo et Adrien Sedaud, Individualisation de l’entraînement, Edition INSEP-Editions, Paris, 2022.
[2] En cela, je suis la proposition de Natalie Goldberg pour qui « l'utilisation de l'écriture en tant que pratique personnelle, » ... est, « un moyen de se pénétrer de sa propre vie, et de parvenir à sa propre sagesse ». Natalie Goldberg, Pourquoi écrire va vous rendre heureux, Editions Robert Laffont, 1986, p. 30
[3] François Cheng, De l'âme, sept lettres à une amie, Editeur LGF Livre de Poche, 2018.
[4] Boris Cyrulnick, Le laboureur et les mangeurs de vent, Editeur Odile Jacob, 2022.





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