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Le directeur de la performance dans le football !? Un acteur stratégique au cœur d’un système d’incertitude

  • Photo du rédacteur: xavierblanc
    xavierblanc
  • 5 juil.
  • 4 min de lecture

Cet été 2025, le Stade rennais a créé le poste de directeur de la performance, pour lequel a été nommé Laurent Bessière, recruté à l’OGC Nice. Chargé de piloter les services préparation physique, data, médical et diététique, il intègre également le comité directeur du club. Cette décision illustre bien l’importance croissante de cette fonction dans les clubs mais agite passablement le landernau footballistique. La question qui se pose alors est de savoir si un tel poste s’avère nécessaire ou bien résulte d’un dysfonctionnement organisationnel. 



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Dans le football, ce nouvel acteur s’impose progressivement dans les organigrammes des clubs. Ni entraîneur, ni simple préparateur physique, ni directeur médical, il occupe une position transversale, à l’interface entre plusieurs sphères : sportive, médicale, technologique, administrative.


Pour comprendre l’émergence et la fonction stratégique de ce rôle, l’analyse développée par Michel Crozier et Erhard Friedberg dans L’Acteur et le Système de 1977 [1] offre un cadre d’interprétation particulièrement éclairant. Dans leur perspective, le football est loin d’être un univers purement sportif. Il constitue « un système d’action concret » traversé de tensions, de rapports de pouvoir et d’incertitudes. Le directeur de la performance y apparaît alors comme « un acteur stratégique » dont la légitimité repose sur sa capacité à occuper et gérer ces zones d’incertitude.


Le football comme « système d’action concret »

Pour Crozier et Friedberg, toute organisation fonctionne comme un système d’action concret, c’est-à-dire « un ensemble structuré d’acteurs qui, bien que liés par des règles et des contraintes, disposent d’une marge d’autonomie, négocient sans cesse, et poursuivent des objectifs parfois divergents ». Le club de football n’échappe pas à cette logique puisque les entraîneurs, le staff médical, les analystes, les dirigeants, les joueurs et les agents coopèrent tout en défendant leurs intérêts propres.


L’apparition du directeur de la performance répond à une transformation de ce système impulsée par l’intensification du jeu, l’apparition des datas, les corps sont sur-sollicités et les clubs cherchent à optimiser chaque détail. Face à cette complexité, ce nouveau rôle agit comme un outil de coordination et de stabilisation, tout en devenant un levier de pouvoir.


Les zones d’incertitude et la définition floue de la performance

Au cœur de cette dynamique organisationnelle se trouve une incertitude fondamentale. La performance elle-même n’est pas définie de manière claire et consensuelle. Dans un club, chacun projette une définition différente :


-       Pour l’entraîneur, c’est la victoire et le niveau de jeu.

-       Pour les dirigeants, c’est la rentabilité et la valorisation des actifs (joueurs).

-       Pour les préparateurs physiques footballistiques, c’est l’état de forme.

-       Pour le staff médical, c’est l’absence de blessures.

-       Pour les data analystes, ce sont les indicateurs objectifs de charge et de rendement.


Cette surdétermination de la performance crée un flou stratégique. Elle rend difficile la coordination entre métiers et ouvre un espace d’interprétation, de contestation et de pouvoir. Ce flou constitue « une zone d’incertitude centrale », que le directeur de la performance va précisément tenter d’occuper et de structurer.


Le directeur de la performance comme acteur stratégique

Dans la pensée de Crozier et Friedberg, les acteurs dans une organisation tirent leur pouvoir de leur capacité « à contrôler une zone d’incertitude ». Le directeur de la performance intervient exactement dans ce registre.


En centralisant des données (physiques, médicales, technologiques), en croisant les points de vue, en objectivant certaines décisions (repos, charge, retour de blessure), il crée du sens commun là où il n’y avait que des logiques fragmentées. Il ne supprime pas les divergences, mais il les régule. Il formalise un cadre de performance partagé, donc actionnable.


Il ne tire pas son autorité d’un statut hiérarchique, mais de sa capacité à organiser l’incertitude et à traduire des situations complexes en recommandations compréhensibles. Il devient une figure de médiation, capable de traduire les enjeux du médical en langage sportif, ou les exigences du haut niveau en décisions opérationnelles.


Jeux d’acteurs et conflits de rationalité

L’émergence de ce rôle ne se fait pas sans tensions. Il s’insère dans un jeu d’acteurs où les rationalités s’affrontent :


- L’entraîneur peut percevoir une atteinte à son autorité.

- Le staff médical peut se sentir dépossédé de décisions cliniques.

- Les dirigeants peuvent instrumentaliser la fonction pour renforcer le contrôle technocratique.


Mais c’est précisément là, selon Crozier et Friedberg, que le système se construit. Dans la négociation permanente entre des rationalités différentes, rendue possible par des acteurs capables de les relier. Le directeur de la performance devient un rouage essentiel de cette dynamique organisationnelle, en construisant des passerelles et en contribuant à stabiliser les interactions.


Conclusion : définir la performance pour structurer l’action

Le directeur de la performance ne se limite pas à mesurer la performance. Il contribue activement à la définir. En clarifiant les attentes du club (contraintes, objectifs, moyens), il structure un cadre d’action collectif là où prévalaient auparavant l’implicite et le flou. Véritable acteur stratégique au sens de Crozier et Friedberg, il organise les interactions, réduit les incertitudes et facilite une coopération régulée. Son émergence ne relève donc pas d’une simple innovation technique, mais d’une adaptation structurelle du football face à des enjeux croissants, nécessitant une meilleure coordination.

 

Cependant, cette solution coordinative, coûteuse financièrement et en ressources humaines, interroge. Une alternative plus efficiente consisterait à formaliser en amont, de manière participative, un référentiel commun définissant la performance pour tous les acteurs du club. Cette approche limiterait certes les marges de manœuvre individuelles, et potentiellement l’engagement personnel, mais elle éviterait surtout les jeux de pouvoir néfastes à la compétitivité. Le football gagnerait ainsi en sobriété organisationnelle, en privilégiant la clarté des rôles plutôt que la multiplication des interfaces.

 

[1] Michel Crozier et Erhard Friedberg, L’acteur et le Système, Editions du Seuil, 1977

 
 
 

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