La vitesse footballistique !
- xavierblanc
- 8 août 2023
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 mai

Affirmer que le football est désormais un sport de vitesse nécessite quelques précisions sémantiques. Pour ce faire, je m’appuie sur le design des efforts des joueurs afin de les typiciser en termes de vitesse footballistique. C'est ainsi que cet écrit développe trois aspects d ela vitesse footballistique que sont la cyclique, l'acyclique et le passage de l'un à l'autre.

La vitesse footballistique cyclique
Tant qu'il y a un enchaînement de foulées, c'est-à-dire que les foulées s'exécutent, ou se reproduisent sur le même design biomécanique, il y a une vitesse cyclique. Elle prend une forme rectiligne en cherchant à atteindre le plus directement possible un lieu. Elle reste de nature cyclique si sa forme s'incurve à droite ou à gauche sans que cela entrave la fluidité de l’enchaînement de foulée. Elle est positive lorsqu'on va de plus en plus vite, à l'exemple d'une accélération [1]. À l'inverse, elle est négative lors d'une décélération. Elle est constante lors d'un maintien de vitesse à l'occasion par exemple d'une course lancée. La vitesse cyclique est la seule qui permette d'atteindre la vitesse maximale ou « son point culminant de vitesse ». Il est toutefois très rare qu'un joueur l'atteigne dans un match, car le jeu et la conduite du ballon lui laissent rarement l’espace de 25m à 30m libres de toutes contraintes et le temps nécessaire pour le faire. Plus souvent, le jeu, ou sa vitesse d'animation, ne l’exige même pas.
La variation de la vitesse cyclique s'effectue généralement par une modification de la fréquence de foulée plutôt que par son amplitude, ce qui demande un effort énergétique pour le joueur. Cette variation par fréquence charge métaboliquement le joueur puisqu'il doit à chaque fois se remobiliser énergétiquement pour relancer sa vitesse.
En analysant les designs d'accélération des joueurs, on constate que la progression de la vitesse n'est pas linéaire. En d'autres termes, « le taux de montée de la vitesse » varie en fonction de la distance parcourue et des caractéristiques individuelles des joueurs. Ainsi, pour certains joueurs, l'accélération est plus forte entre 0 et 5m, tandis que pour d'autres, elle est plus forte entre 5m et 10m.
En fonction de leur poste sur le terrain, les joueurs doivent privilégier différents types d'accélération. Par exemple, pour un ailier, il doit détenir une accélération longue pour prendre l'espace devant lui, tandis que pour un milieu de terrain, la priorité est de sortir de la densité de la zone 2 de jeu par des accélérations très intenses les plus courtes possibles.
Dans tous les cas, les joueurs améliorent leur vitesse cyclique par répétition en activant au maximum leurs trois premiers appuis. Elle s’entraîne également par montée maximale plus ou moins longue de leur vitesse, afin que les joueurs puissent à volonté compresser et décompresser leur temps d'accélération. Cet entraînement contribue à améliorer leur condition physique puisqu’il créé une réserve de vitesse qui permet de plus facilement réitérer des séquences de vitesse maximale [2].
La vitesse footballistique acyclique
La vitesse acyclique concerne toute la gestuelle footballistique qui ne se répète pas dans une même séquence d'actions. Elle dépend alors principalement de la capacité à mobiliser, ou recruter spatio-temporellement, rapidement, fréquemment et de manière répétitive, le plus de fibres musculaires impliquées dans le geste footballistique souhaité.
Pour certains, ce recrutement passe par la musculation lourde ou force-vitesse. Je n’en suis pas partisan. D'une part, cela risque de renforcer les déséquilibres et les raideurs corporelles induits par le football. D'autre part, ce type de musculation cultive la tension musculaire par contraction, ce qui favorise la crispation par le recours à la force pour produire de la vitesse alors que celle-ci provient du relâchement. Enfin, ce type de musculation demande des entraînements isolés qui prennent beaucoup de temps d'entraînement et nécessitent également une haute expertise technique.
Cela n'exclut pas un apport de musculation pour développer qualitativement cette vitesse acyclique, mais sur une modalité intermusculaire de vitesse-force. Outre ce développement qualitatif de la vitesse acyclique, son optimisation passe principalement par des écoles d'appui, qui font partie intégrante de l'apprentissage, du maintien et de la perfection de la maîtrise technique du ballon. Mes seules exigences de PPF à ces occasions sont que les exercices techniques soient exécutés avec le torse droit, que les joueurs évitent de fixer le sol pour maintenir leur équilibre corporel, que leurs appuis s’enchaînent avec vivacité et légèreté en ne tapant pas le sol afin que l'énergie cinétique produite par l’appui profite au maximum à l'appui suivant.
Les passages successifs de l'une à l'autre...
Dans la réalité sur le terrain, une stricte segmentation entre les vitesses cyclique et acyclique n'est pas pertinente. Il est même très rare qu'elles ne se combinent pas en se suivant, à l'exemple d'une prise de balle dans la profondeur suivie d'un centre. Ce sont précisément la qualité des transitions soudaines et aléatoires entre ces vitesses qui sont critiques pour performer physiquement sur le terrain, car ce sont autant de moments où la gestuelle footballistique peut être altérée, ralentie ou perturbée, laissant ainsi à l'adversaire l'opportunité d'annihiler une action ou de récupérer le ballon.
Il revient au PPF d'en optimiser la fluidité, afin que ces passages deviennent des opportunités pour faire des différences. Cette fluidité est comprise ici comme « le maintien au bon moment, sans surcoûts énergétiques et pertes du contrôle neuromoteur des vitesses impliquées dans une gestuelle footballistique ». Frans Bosch, nomme ces passages « spécificité », c'est-à-dire qui « désigne la façon dont les patterns de mouvement sont apparentés. Les caractéristiques de la spécificité constituent le mécanisme fondamental des transferts (ou de l'entraînement), qui peuvent être positifs, négatifs ou neutres, c'est-à-dire que les mouvements s'améliorent, se dégradent, ou n'affectent pas les uns les autres » [3]. Frans Bosch inscrit cette spécificité dans le concept plus large de biotenségrité. L'ensemble est le coeur et le moteur de ce qu'il nomme l'agilité. Selon mon interprétation, Bernard Grosgeorge et Stevy Farcy apparentent cette fluidité à de l'agilité réactive pour laquelle ils couplent réactivité neuromusculaire avec les dimensions cognitives d'anticipation, de traitement de l'information et la réponse à une situation [4].
Pour extraire, optimiser, développer, enrichir ou simplement maintenir physiquement la fluidité de ce passage, il s'agit d'en identifier les éléments constitutifs. Dans l'idée d'en assurer sa continuité sans accrocs ni blocages, je la symbolise par une roue. 8 éléments (posture, équilibre, relâchement, traitement cognitif et contrôle moteur, puissance musculaire, réflexes archaïques, alacrité, biotenségrité) la composent. Ils ne sont pas hiérarchisés puisque si l'un manque, l'ensemble ne peut exister parfaitement. Cette roue représente la coordination structurelle corporelle des joueurs.
Dans ce cadre et sachant que le football est un sport aléatoire à 360 degrés, plus le joueur pourra faire varier avec fluidité ses gestuelles cyclique et acyclique, plus il pourra s'adapter ou répondre correctement à la situation de jeu. Cette capacité de variation peut s’entraîner par les qualités de la coordination motrice identifiées par Arturo Hotz soit l’équilibre, la réactivité, le rythme, l’orientation et la différenciation [5]. Ces exercices doivent alors :
- déséquilibrer pour que le corps améliore ses capacités de rééquilibration. Ce principe de déséquilibration doit comprendre un niveau de force et de vitesse de déstabilisation correspondant à des situations de jeu. Il en est de même avec les zones des impacts ou encore sur les ampleurs des déséquilibres. C'est ce qui explique que je ne suis pas favorable à des désadaptations de type bozu, qui produisent des oscillations de déséquilibre qui ne correspondent à aucune réalité du terrain. Une planchette en bois provoquant des déséquilibres de 0,5cm d'amplitude est bien suffisant.
- stimuler la réactivité des mouvements lors des activations. Il s’agit d’activer ici des aspects réactifs (réactivité neuromusculaire), de vigilance (concentration sur le jeu) et cognitifs (vitesse de traitement de l'information), mais aussi techniques avec par exemple l’entraînement du pointage de genoux. Le maintien d'une réitération de qualité de cette réactivité représente à mes yeux la véritable charge physique du football, car elle demande à chaque fois une remobilisation énergétique, à l'image d'un cœur qui pulse vigoureusement et indéfiniment.
- élargir le spectre du rythme de course sur la base de variations de fréquence et d'amplitude de foulée. Plus particulièrement, l'idée est que le joueur puisse varier à volonté et avec facilité, ou jouer avec, les amplitudes et les fréquences de ses foulées. Par exemple, pour réaccélérer, il lui suffit d'allonger son amplitude de foulée en gardant constante sa fréquence et pour faciliter la prise d'une courbe, il lui faut maintenir sa fréquence de foulée tout en rétrécissant son amplitude de foulée. On comprend ici que la faculté de varier les amplitudes et les fréquences de foulée est fondamentale pour le timing des déplacements ou être au point de rendez-vous footballistique que le jeu demande. C'est précisément cette capacité qui fait, selon moi, l'une des forces physiques de Kylian Mbappé. Cette variation rythmique s’entraîne par des écoles de vitesse footballistique et d’appui.
- désorienter pour retrouver le plus rapidement ses repères spatiaux. Le but est que le joueur conscientise son schéma corporel au plus vite dans n'importe quelle situation, c'est-à-dire qu'il a la faculté d'appréhender son corps dans son environnement proche, ou ici espace de jeu. Cela exige que ses capteurs posturaux et sensori-moteurs soient en forme. Cela s’aiguise par l’entraînement proprioceptif avec la condition de maintenir ses pieds et ses yeux en forme.
- accroître la capacité de différenciation consiste à renforcer la capacité d'ajuster efficacement et de manière pertinente sa gestuelle footballistique pour répondre de manière optimale à une situation donnée sur le terrain. Cette capacité de différenciation nécessite de pouvoir dissocier les différentes parties du corps et complète, voire peut s’assimiler, à l’entraînement de la variation de la rythmique gestuelle.
[1] Voir l’excellent blog de Gilles Marambaud, qui décrypte l’accélération dans le football https://accelerationfootball.wordpress.com/a-propos/ Page consultée le 7.08.2023.
[2] Plus particulièrement dans le cas d'un intermittent Repeat Sprint Ability, ce sont les footballeurs qui ont les pointes de vitesse les plus hautes, qui se fatiguent plus lentement. Certainement parce que pour courir vite implique courir mieux et donc plus économique. Lire à ce propos, D. Bishop, O. Girard, A. Mendez-Villanueva, Repeated-Sprint Ability – Part I, Factors Contributing to Fatigue, Sports Med 2011; 41 (8): 673-694.
[3] Frans Bosch, Anatomie de l'agilité, Frans Bosch & Physiques Performance Editions, 2023, p. 92.
[4] Bernard Grosgeorge et Stevy Farcy, L'agilité dans les sports collectifs, 4 Trainer Editions, 2016.
[5] Arturo Hotz, Les capacités coordinatives, in Manuel Jeunesse et sport de football, Editeur EFSM, 1986, Macolin.
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