Les communications verbale, para-verbale et non-verbale comme outils d’ajustement des charges physiques footballistiques
- xavierblanc

- 27 juin
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 sept.

Si les préparateurs physiques footballistiques (PPF) disposent aujourd’hui d’outils technologiques avancés pour mesurer l’effort (GPS, tests neuromusculaires tels que le Test de Sargent, le RPE tels que les échelles de Borg ou de Forster, etc.), ces dispositifs doivent être complétés par une approche terrain plus humaine, ou holistique, pour rester qualitative. En effet, une observation fine in situ des comportements par les modes d’expression du joueur, permet de détecter des signaux faibles ou cachés révélateurs de son état de forme physique footballistique.

Ce post explore alors comment un PPF peut mobiliser les différents canaux de communication dans son observation des joueurs pour ajuster plus finement leur charge d’entraînement. Il constitue un complément au post ; L’écoute active des douleurs physiques footballistiques.
Il est vrai que chacun utilise et décrypte déjà, de manière (in)consciente, ces canaux de communication. Toutefois, il peut être utile de prendre le temps de bien les définir, afin d’en faire des outils opérationnels d’entraînement terrain performants, c’est-à-dire capables de révéler, entre autres, le sens caché des informations exprimées corporellement.
La communication
Etymologiquement, la communication désigne « la manière d’être ensemble ». On communique pour mettre en commun, soit partager mutuellement, une idée, un projet, une action, une activité… donc un entraînement. Cela implique de s’écouter pour s’entendre, autrement dit : se comprendre. Selon la théorie, on subdivise habituellement cette communication en communications verbale, para-verbale et non-verbale [1].
1) La communication verbale regroupe l’ensemble des mots et des phrases exprimés, que ce soit soit oralement ou par l’écrit, par le joueur. Elle offre une première entrée dans la perception qu’il a de son état physique selon les exemples :
- « J’ai mal dormi cette nuit » peut signifier un déficit de récupération.
- « Je sens mes jambes lourdes » peut signifier une surcharge ou micro-lésion musculaire.
- « J’ai peur de me reblesser » peut signifier une inhibition psychologique post-blessure.
Ces verbalisations doivent être prises en compte dans l’ajustement de la séance et des exercices, en particulier si elles sont récurrentes ou contradictoires avec les données objectives.
2) Le para-verbal correspond à l’ensemble des caractéristiques vocales du discours : ton, rythme, intensité, débit et pauses ou silences. Il permet de décrypter l’état émotionnel du joueur selon les exemples :
- Une voix hésitante en disant « Ça va » peut signifier une dissonance émotionnelle.
- Un ton saccadé ou précipité peut signifier stress précompétition.
- Une voix lente, monotone peut signifier fatigue mentale ou démotivation.
Le para-verbal aide à sonder la sincérité ou la stabilité émotionnelle du discours verbal.
3) La communication non-verbale est tout ce qui n’utilise pas de mots oraux ou écrits. Elle englobe les mouvements du corps, la posture, le regard, les attitudes et les expressions faciales selon les exemples :
- Une démarche traînante, épaules affaissées peut signifier de la fatigue ou une démotivation.
- Un évitement du regard peut signifier une anxiété ou un malaise.
- Une réticence à participer ou un isolement peut signifier une surcharge mentale ou blessure latente.
En synthèse, si un joueur effectue des gestes avec moins d’amplitude, se touche la cuisse ou s’étire anormalement, cela doit éveiller l’attention du PPF.
Si on croise l’ensemble de ces informations des communications verbales, para et non-verbales, cela donne la grille d’analyse croisée suivante :
Situation observée | Verbal | Para-verbal | Non-verbal | Interprétation probable |
Affirme aller bien | « Je suis en forme » | Ton neutre | Raideur dans les gestes | Possible réticence à signaler une gêne |
Exprime une gêne | « J’ai mal à la hanche » | Ton ferme | Frottement récurrent de la hanche | Signe confirmé de douleur |
Ne dit rien | Silence | Voix faible | Posture fermée | Fatigue psychologique latente |
L’utilisation possible de la synergologie
Pour aller plus loin encore, il semble très intéressant pour le PPF d’apprendre à lire le corps, c’est-à-dire d’être en capacité d’interpréter les postures et les comportements significatifs. En effet, un corps n'est pas simplement de la matière parce que « le corps fonctionne (…) comme un langage par lequel on est parlé plutôt qu’on ne le parle, un langage de la nature, où se trahit le plus caché et le plus vrai à la fois, parce que le moins consciemment contrôlé et contrôlable, et qui contamine et surdétermine de ses messages perçus et non aperçus toutes les expressions intentionnelles, à commencer par la parole» [2]. L’apprentissage du langage corporel est donc une compétence clé à développer sachant que les signaux corporels sont ambigus. Leur lecture nécessite alors intuition, expérience et confrontation avec le contexte.
Pour se perfectionner, le PPF peut alors recourir la synergologie. Cette discipline étudie le langage corporel et les micro-mouvements pour décrypter les émotions et les pensées inconscientes d'une personne. Fondée par Philippe Turchet dans les années 1990, elle se base sur l'observation des gestes, des postures, des expressions faciales et d'autres signaux non verbaux pour analyser les intentions réelles derrière les apparences [3].
La synergologie s'intéresse particulièrement aux détails infimes, comme un léger haussement d'épaules ou un mouvement des pupilles, considérés comme des « fuites du non-conscient ». Cette approche prétend ainsi révéler ce que les mots ne disent pas, bien qu'elle soit critiquée pour son manque de validation scientifique.
En tant que méthode, la synergologie s’articule par et autour de 5 grands principes que sont les principes de fuite inconsciente, de signification, d’antériorité, d’incarnation et de relativité.
1. « Le Corps ne ment pas » selon son principe de fuite inconsciente
· Les « fuites » corporelles : certains gestes, postures ou micro-expressions échappent au contrôle conscient et trahissent les véritables émotions. Exemple : Un joueur de foot dit « Je suis motivé », mais ses épaules s’affaissent légèrement, ce qui est un signe de doute ou fatigue.
· Les micro-mouvements : Clignements des yeux, tension de la mâchoire, doigts qui tambourinent… révèlent un état interne.
2. « Tout comportement a un sens » selon son principe de signification
· Aucun geste n’est anodin : Même un simple croisement de bras peut avoir plusieurs interprétations selon le contexte. Exemple : Un joueur qui se touche souvent le visage pendant un entretien peut exprimer du stress.
3. « Le non-verbal précède le verbal » selon son principe d’antériorité
· Le corps réagit avant la parole. Une émotion se lit d’abord sur le visage ou dans la posture, même brièvement. Exemple : Un PPF perçoit une micro-expression de déception chez un joueur avant qu’il ne dise « C’est bon ».
4. « La Dualité Corps/Esprit » selon son principe d’incarnation
· Les tensions physiques reflètent souvent des tensions psychologiques. Exemple : Un joueur qui court de manière raide peut avoir un blocage mental (peur de la blessure, pression…).
5. « L’Importance du contexte » selon son principe de relativité
· Un même geste peut avoir des sens différents selon la situation. Exemple : Se gratter le nez peut être une démangeaison… ou un signe de mensonge si c’est répétitif en situation de stress.
Son application footballistique
Lors d’une séance d’entraînement physique axée sur l’endurance et la vitesse, un joueur semble suivre les consignes, mais son PPF perçoit une baisse de performance inhabituelle. En appliquant les principes de la synergologie, analysons ses gestes et attitudes pour comprendre ce qui se joue au-delà des apparences.
1. Observation des signaux non verbaux pendant l’activation
Posture voûtée en courant (épaules légèrement rentrées, regard vers le sol) :
Indique une possible fatigue physique ou mentale, voire un manque de motivation.
En synergologie, cette posture peut aussi traduire une forme de résistance passive (refus inconscient de l’effort demandé).
Respiration saccadée et soupirs fréquents avant même les exercices intenses :
Trahit un état de stress ou d’appréhension, comme si le joueur anticipait négativement la séance.
2. Analyse des signaux pendant les exercices de vitesse maximale footballistique
Mouvements de mâchoire serrée lors des départs :
Signe de tension musculaire liée à l’effort, mais aussi potentiellement à de la frustration ou de la colère rentrée.
Regards fuyants vers le PPF après chaque série :
Évitement du contact visuel révélant un possible sentiment de culpabilité (peur de décevoir) ou désaccord tacite avec la méthode d’entraînement.
Auto-contact (mains sur les hanches, frottement des cuisses) entre les répétitions :
Ces gestes d’auto-apaisement révèlent un besoin de réconfort, souvent lié à l’inconfort physique ou psychologique.
3. Pendant la récupération ; des micro-comportements révélateurs
Isolement du groupe (s’assoit à l’écart, écouteurs vissés sans interaction) :
En synergologie, le retrait social peut indiquer un mal-être, un conflit non résolu avec l’équipe ou le staff.
Jambes qui tremblent légèrement en position statique :
Traduction possible d’une fatigue excessive, mais aussi d’anxiété (adrénaline résiduelle).
Les pistes d’action pour le PPF
Au vu des conclusions interprétatives de ces exemples, et afin d’optimiser la pertinence, l’efficacité et l’efficience de son entraînement physique footballistique, un PPF peut et/ou doit
1.Dialogue individualisé :
Aborder le sujet avec bienveillance en citant des observations concrètes ("J’ai remarqué que tu semblais moins à l’aise sur les sprints aujourd’hui…").
2. Adapter la charge de travail :
Vérifier si le joueur est en surcharge physique ou mentale (suivi GPS, questionnaire de récupération).
3.Travail sur la cohésion :
Si l’isolement persiste, intégrer des exercices en binôme pour recréer du lien.
Conclusion
La communication offre un outil précieux pour détecter précocement les signaux faibles (fatigue, conflits, démotivation) chez un joueur, avant qu’ils n’impactent ses performances. Elle permet ainsi d’éviter des situations de burn-in en ajustant un accompagnement sur mesure. Dans cette logique, et plus précisément dans le cadre de la communication non-verbale, la synergologie permet de « lire par et entre les gestes » pour mieux comprendre sur le moment les joueurs, anticiper leurs problèmes physiques et ainsi optimiser l’expression de leur talent footballistique.
[1] Alex Mucchielli, La communication. Paris : Presses Universitaires de France (PUF), coll. "Que sais-je ?", 2016. Yves Winkin , Anthropologie de la communication. Paris : De Boeck Supérieur, 1996. Dominique Picard, Politesse, savoir-vivre et relations sociales. Paris : PUF, 2007.
[2] Pierre Bourdieu. Remarques provisoires sur la perception sociale du corps. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 14, avril 1977. Présentation et représentation du corps. p. 51.
[3] Philippe Turchet, Le grand livre de la synergologie, Décoder le langage corporel pour mieux comprendre l'autre, Les Editions de l’homme, 2022.





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