Le manque de « cœur à l’ouvrage » ; le symptôme d’un « burn-in » footballistique !
- xavierblanc
- 10 avr.
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 mai

C’est le printemps européen ! La sève verdit les arbres comme pour nous rappeler que les rectangles verts vont bientôt délivrer leur verdict. Le réveil langoureux de la nature contraste alors avec la tension et l’excitation montantes qui annoncent le dénouement des championnats et des coupes. Pour sortir gagnant de ces Money Times, – que ce soit en atteignant ses objectifs : l’obtention d’un titre, d’une

qualification internationale, l’évitement d’une relégation, la valorisation de jeunes
joueurs, ou la participation à un tour de promotion – les équipes jettent leurs dernières forces dans des matchs souvent couperets.
Or, ces moments décisifs, où tout se gagne et se perd parfois sur un seul match, avivent les tensions alors qu’ils arrivent après de très longs mois de championnat très énergivore, émaillés par des phases de préparation plus ou moins régénératives. La plupart des joueurs abordent ces phases finales « en serrant de plus en plus leurs dents et/ou leurs fesses à cause d’un manque, comme disaient les anciens, de jarrets » pour tenir les efforts, ce qui les lessive, donc généralement les essore de leur dernière goutte d’énergie. Si pour quelques joueurs, c’est une période de renaissance en (re)venant dans le Game, les états de forme erratiques des autres nous informent surtout que ce ne sont pas les équipes les plus en forme qui performent lors de ces moments, mais celles qui sont le moins en méforme.
Lors de ces fins de saison, la mesure de la performativité d’une équipe, outre ses résultats comptables, ne réside plus alors dans la qualité de son jeu, que l’on peut espérer au point tactiquement et techniquement à ce stade de la saison, mais à l’aune de son « coeur à l’ouvrage ». Cela nous indique que les préparateurs physiques footballistiques (PPFs) doivent le cultiver pour que les joueurs puissent jouer pleinement la compétition en cours. Pour y parvenir, cela demande, dans un premier temps, de contextualiser cette expression pour, dans un second temps, savoir comment s’en (pré)occuper. L’objectif est que son équipe détienne les capacités énergiques suffisantes et nécessaires pour pouvoir répéter avec le plus de fraîcheur ses matchs, respectivement ses entraînements.
Le « cœur à l’ouvrage » footballistique !?
Si le mot « ouvrage » se comprend in casu comme le football, le « cœur » demande de la précision sémantique. Au sens propre, c’est l’organe qui, en pulsant notre sang, nous oxygène, nous répare et nous alimente. Au sens figuré, il occupe une place centrale pour raconter notre humanité depuis les temps les plus éloignés. Par exemple, en Égypte ancienne, le « cœur » représentait l'essence de la vie, car les momies conservaient leur cœur, première partie de l'Homme à vivre, dernière à mourir. Dans cette continuité, il évoque aujourd’hui le centre de la « vie ». Il symbolise l’amour ainsi que la bienveillance et la générosité. Sportivement, il s’assimile à la motivation intrinsèque de jouer. Dans cette perspective, le « coeur » reflète le niveau d’énergie qui module l’implication des joueurs. Ce niveau d’énergie résulte de notre vitalité, qui s’alimente notamment de nos émotions, qui nous mettent en mouvement, ainsi que de nos affections et de nos afflictions.
Mais les racines de cette vitalité restent bien mystérieuse. C’est ce qui explique certainement qu’elle fait l’office de nombreuses (in)certitudes et croyances religieuses et est l’objet de toute philosophie ontologique. Si j’évoque l’essentialisme de ce « cœur », il ne m’appartient pas d’en discuter. Par contre, ma responsabilité de PPF est d’y apporter toute mon attention parce que l’on comprend bien que cette énergie vitale détermine l’intensité « du cœur du réacteur » des joueurs. Je remercie donc François Cheng pour son explication générique de la Chose.
« La vie n’est-elle pas ce corps vivant qui fonctionne tout naturellement, tout seul, sans que rien d’autre ait à intervenir ? Cela semble évident. À y regarder de plus près toutefois, force-nous est de constater que ce corps vivant est constamment animé, c’est-à-dire qu’en lui quelque chose anime. Ce que les Anciens désignent par le binôme animus-anima. À la question…Dans l’ordre vital qu’est-ce qui est capable d’animer?
La réponse que donnent toutes les pensées est invariable: le Souffle de vie. La pensée indienne le nomme Aum, la pensée chinoise Qi, la pensée hébraïque Ruah, la pensée arabe Rûh, et la pensée grecque Pneuma. En chaque être particulier, l’animus est régi par l’anima. Cette dernière est la marque de son unité et de son unicité. Là encore, toutes les pensées traditionnelles lui donnent un nom particulier désignant une entité identique : l’Âme – un mot qui dérive, rappelons-le, du latin anima, lequel désigne justement le souffle vital.» [1].
Le « burn-in » footballistique !?
Pour saisir opérationnellement la vitalité footballistique, j’utilise le concept d’alacrité, qui est un « état de vigueur et de vitalité corporelle, souvent mêlé de bonne humeur et d’entrain ». Son absence se remarque lorsque son équipe ne rit plus et ne se chambre plus. Elle en devient indolente, sombre, exsangue, molle et nonchalante comme les sons pesants, sourds, lourds, diffus de ses frappes de ballon nous l’indiquent. Elle accepte la défaite de plus en plus facilement et la subit avec fatalisme. Elle est aussi paradoxalement fébrile pour cause de nerfs à vifs. Bref, ce type d’équipe n’a plus « de cœur » par manque d’(en)vie, car en survie.
Cet autre côté de la « pièce de monnaie énergétique footballistique » s’assimile à la fatigue qui se subdivise en aigüe et chronique. L’aiguë apparaît immédiatement après un exercice intense et se manifeste par une diminution temporaire des performances, des douleurs musculaires et un essoufflement. Elle disparaît généralement après un repos approprié. La chronique survient après une surcharge d’effort sans récupération suffisante et peut mener à ce que l’on dénomme une situation de surentraînement. Ce concept est mal nommé puisqu’il donne le sentiment que la problématique de la fatigue ne concerne que les entraînements. Or, cette situation correspond à une situation générale de « burn-in ». Elle désigne un état dans lequel un individu est soumis à une charge de travail élevés sur une période prolongée qui se révèle par des signes d’épuisement progressif. C’est une phase où le joueur continue de performer, parfois à un niveau élevé, mais avec des signaux d’alerte qui, s’ils ne sont pas pris en compte, peuvent mener à un « burn-out », soit la situation lors de laquelle le corps s’arrête soudainement de fonctionner en se mettant brutalement en off parce que quand il n’y a plus rien à brûler… et bien… la flamme s’éteint.
Les signaux physiques d’un « burn-in » sont une fatigue persistante, même après du repos, une diminution des performances sportives, plus particulièrement des valeurs de la montée de la puissance musculaire (ce que le football dénomme l'explosivité), des douleurs musculaires prolongées, une fréquence cardiaque élevée au repos ou anormalement basse, un système immunitaire affaibli avec pour conséquences des maladies plus fréquentes et des troubles du sommeil. Ses symptômes mentaux et émotionnels sont des pertes de motivation et de plaisir, une irritabilité, une anxiété ou une dépression, de la difficulté de concentration et des sensations de stress ou de frustration accrues. Sur le terrain, cet état se remarque objectivement par un nombre en augmentation des entorses et des cartons reçus. Le problème, c’est que lorsque son équipe est engluée dans cette nasse énergétique, il est très difficile de l’en extirper par manque de ressorts et de temps.
Ce qu’il s’agit de saisir ici et comme annoncée ci-avant, c’est qu’une situation de « burn-in » n’implique pas automatiquement des contre-performances physiques. En revanche, pour maintenir son niveau de performativité, elle demande une surmobilisation énergétique en puisant toujours plus dans ses réserves. Autrement dit, les joueurs creusent, en allant au-delà de leur capacité du moment, de plus en plus largement et profondément leur tombe énergétique footballistique. Dans ce cadre, le rôle du PPF n’est pas d’éviter que les joueurs y tombent, mais plus fondamentalement d’éviter que ces tombes soient creusées.
S’en préserver par l’entraînement de la forme plutôt que de la méforme !
Après une défaite, on entend toujours la même ritournelle contrite. « Notre défaite s’explique parce que nous n’étions pas concentrés, concernés et suffisamment mobilisés alors que le coach nous avait prévenus de l’intensité de ce match. Je ne comprends pas, car nous l’avions très bien préparé pendant la semaine. Mais c’est notre faute ! C’est nous qui jouons. Donc à nous de corriger cela en nous remettons au travail en faisant plus d’efforts ».
Physiquement sur la base du mantra « No Pain, No Gain », faire plus d’efforts d’entraînement signifie trop souvent solliciter métaboliquement encore plus les équipes pour espérer retrouver ou maintenir leur forme ou les « réveiller ». Si cela a le désavantage de fatiguer davantage leur équipe, donc d’entraîner leur méforme, cela a l’avantage de disculper de toute faute programmatique en cas d’échec. Mais cela dégoûte les joueurs du physique footballistique parce qu’il devient punitif, donc répulsif. Ce choix d’intervention se fonde sur l’idée largement répandue que les footballeurs sont physiquement des fainéants. Pour ma part, ce diagnostic me semble trop simpliste, même si dans certains cas, il se vérifie par la justification que le bon et vrai football est réservé aux artistes dont le talent technico-tactique les exempt de tout travail physique. Autrement dit, cela signifie en creux pour ces personnes que s'investir dans le physique footballistique, c’est seulement réservés pour les joueurs qui manquent de talent. Oui mais, nous ne sommes pas tous des Messi !
Pour préciser mon propos, je considère que les joueurs veulent toujours, sauf en cas d’entraînement qui ne leur convienne pas ou qu’ils ne comprennent pas, mais qu’ils ne peuvent pas toujours. D’une part parce qu’ils n’ont plus de « coeur » à le faire et, d’autre part, par protection de celui qui leur reste. C’est ce qui explique que les joueurs trichent à l’entraînement. Cela peut se comprendre comme un manque d’envie, d’implication, d’investissement, mais aussi le signe qu’ils font au mieux avec ce qu’ils ont dans les chaussettes [2]. Ne pas en tenir compte amène à brûler ce qui reste de la substantifique moelle d’une équipe. Pour leur défense, les PPFs qui adoptent cette stratégie cherchent à préserver la performativité de leur équipe. Mais bien souvent dans le football, « le mieux est l’ennemi du bien », comme j’ai pu l’apprendre à mes dépends.
Certains clubs préviennent cette situation, qui est considérée comme inexorable vu les coûts énergétiques que les calendriers footballistiques imposent, en injectant régulièrement de nouveaux joueurs pour oxygéner leur équipe. Ce mot d’oxygénation décrit bien la situation pour ceux qui veulent bien l’entendre, donc le penser. Mais cela est difficile de le faire puisque cela demande des moyens conséquents ou lorsque votre équipe ne fait que gagner et que vous êtes liés par des contrats, ce que la saison de Manchester City 2024-2025 semble illustrer à merveille. Par ailleurs, cette stratégie fragilise le devenir d’une équipe puisqu’elle a pour effet de devoir rebâtir perpétuellement son fond de jeu alors qu’il a besoin de plusieurs années pour se développer et se stabiliser. C’est aussi un pari risqué dans le sens que chaque transfert ne se révèle pas automatiquement une bonne pioche. Pour d’autres, la meilleure stratégie, selon la vision de faire avec ce que l’a, consiste à tout faire pour que son équipe ne tombe pas dans cette problématique énergétique.
Dans cette stratégie et selon les principes d’efficience et de pertinence qu’il vaut mieux prévenir que guérir, le PPF doit avant tout veiller à ce que les joueurs aient toujours l’envie, la détermination et la flamme qui allument et illuminent leurs gestuelles footballistiques. Autrement dit, plutôt que de s’occuper d’ajouter des chevaux aux moteurs fatigués des joueurs, il s’agit de se préoccuper de savoir si ces derniers ont déjà l’essence suffisante pour boucler leur saison. Cette obligation nous révèle que la préparation physique footballistique, c’est beaucoup plus que de simples efforts métaboliques.
Pour « en avoir le cœur net », il s’agit effectivement aussi de saisir que le « cœur à l’ouvrage » est influencé par le niveau de cohérence entre un objectif commun partagé par les joueurs, les staffs techniques et les administratifs et les réelles capacités du club. Pour un exemple concret de la nécessité de cet alignement, voici les mots dans sofoot d’Alexandre Mendy après une énième défaite du SM Caen en 2025. « C’est à l’image de notre saison. Je parle pour ma part, mais quand on démarre une nouvelle saison pas dans la bonne énergie, tout le monde sait ce qu’il s’est passé pendant ce mercato pour plusieurs joueurs, voilà ce que ça donne aujourd’hui. On va se battre jusqu’au bout, mais on récolte que ce que l’on sème. »
En faire moins à court terme, pour en obtenir plus à moyen terme !
Dans le cadre de ma mission de PPF, donc dans l’espace d’intervention sur lequel je peux agir en toute assertivité, je préviens métaboliquement la perte de ce « cœur à l’ouvrage » en appliquant le principe « d’une surcompensation modérée constante ».
Le principe fondamental de l'entraînement physique est de déséquilibrer l'homéostasie corporelle afin que le corps réagisse en se rééquilibrant à un niveau supérieur selon le modèle de surcompensation. Ce processus, induit par divers stimuli neuromusculaires et métaboliques, doit être constamment répété afin que les adaptations physiques désirées d’aiguës deviennent chroniques. Dans ce cadre, si le modèle de « surcompensation modéré constante » a pour principe de stimuler physiquement à des niveaux de qualité et d’intensité de 100%, la charge énergétique totale de chaque séance d'entraînement est fixée aux environs de 90% à 95% de ce que les joueurs peuvent réellement donner sur le moment. Cette sobriété d'entraîner sans épuiser vise à ce que les joueurs restent sur leur faim footballistique selon le principe Hara Hachi Bu du régime alimentaire Okinawa.
Si les adaptations souhaitées sont obtenues moins rapidement, les joueurs récupéreront toutefois mieux des séances, seront plus à même de supporter les suivantes et d’acquérir ainsi des adaptations chroniques souhaitées. Ces 5% à 10% de réserve énergétique permettent de garder le cap d’une progression ou d’un maintien de l’état de forme des joueurs en donnant la possibilité de corriger sans dommage des erreurs de calibrage des charges d’entraînement. Les PPFs parviennent ainsi à éviter des crashs énergétiques que les joueurs mettront très longtemps à récupérer, parce qu'ils auront alors un problème de régénération, ou encore seront victimes de blessures causées par des surplus de fatigue.
Cette réserve de 5% à 10% vise donc à ce que les joueurs puissent maintenir un bon niveau de compétitivité tout au long de leur période de championnat. C’est sportivement pertinent, parce qu’il vaut mieux une équipe qui évolue toute la saison à un niveau d'environ 90% à 95% de ses capacités énergétiques, plutôt qu’elle réalise un match à 100% de son énergie vitale disponible, ce qu’elle va « payer » en faisant les 3 et 4 suivants à 80%-90%. Les « petites équipes » qui surperforment en Coupe, connaissent particulièrement bien cette situation lors de la poursuite de leur championnat.
Ce principe de « surcompensation modérée constante » n’est pas synonyme de désentraînement ou de sous-entraînement [3]. Cela serait le cas si les joueurs s’entraînaient moins de trois fois par semaine à des intensités inférieures à 70% de leur puissance maximale aérobie, et si les entraînements de la montée de la puissance musculaire étaient espacés de plus de deux semaines. Dans ce cadre, il est à noter d’une part que c’est la qualité de la souplesse qui souffre le plus d’une baisse d’entraînement et, d’autre part, que c’est l’endurance qui en souffre le moins [4].
Conclusion
Si je me suis concentré sur le modèle « de surcompensation modérée constante », en tenant constant les autres facteurs explicatifs, c’est que c’est plus qu’un simple outil de gestion opérationnelle des charges. C’est une philosophie d’intervention qui limite la poursuite absolue et excessive de la performativité physique footballistique selon la diction populaire « si tu veux bien jouer longtemps, ménage d’abord tes joueurs ». Il a aussi le grand avantage d’installer une dynamique collective entraînante à s’entraîner qualitativement physiquement plus haut, mais moins, soit tout simplement avec et dans le plaisir.
Cela participe aussi à dépasser le paradigme passéiste, mais toujours (très) bien vivant, que le physique footballistique est un coût à payer, ou un mal nécessaire, qu’il s’agit de régler par des préparations physiques volumineuses pour l'oublier au plus vite. L'autre paradigme consiste à accepter que le physique est le football dans le sens qu’il est un investissement permanent qui permet systémiquement au talent footballistique de s’exprimer pleinement avec consistance.
[1] François Cheng, De l'âme, sept lettres à une amie, Editeur LGF Livre de Poche, 2018.
[2] Sur l'exemple du cercle vicieux bureaucratique cher à Michel Crozier, plus on intensifie l'entraînement, plus les joueurs s'en protègent, ce qui implique d'augmenter encore plus l'intensité des entraînements, ce qui a pour conséquence que les joueurs jouent encore moins le jeu et ainsi de suite... Michel Crozier, Le Phénomène bureaucratique, Edition Seuil, 1971.
[3] Anne-Laure Morigny et Christophe Keller, La prophylaxie en sport de haut niveau, expériences de terrain, Editions Savoirs d’Experts, INSEP, 2019.
[4] W. Larry Kenney, Jack H. Wilmore, David L. Costill, Physiologie du sport et de l’exercice, 5e édition, Editions de Boeck Université, 2013. pp. 309-315
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