La patience... un critère de qualité de la préparation physique footballistique !
- xavierblanc
- 13 juin 2022
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 6 jours

Le football est un spectacle sportif quasiment sans égal. Un match est un scénario plein de suspense, qui déchaîne les passions, qui offre des retournements de situation improbable, qui suscite des identifications locales, régionales et nationales. Il met parfois à mort symboliquement par l’attribution de cartons jaunes et rouges et donne l’occasion à des héros d’émerger de nulle part. Parfois, il se termine sur des « injustices arbitrales », souvent appréhendées comme de véritables « casus belli » symboliques, dont la principale qualité est de prolonger le match par des articles et des discussions de bistrot pendant des jours.

Ces caractéristiques font du match de football un produit télévisuel par excellence. Pour le 20ème du prix de production d'un téléfilm, vous avez une audience multiple. Cela explique les droits télévisuels pharaoniques qui alimentent continuellement les coffres footballistiques par des calendriers qui s’étoffent continuellement. Dans ce contexte, les joueurs deviennent des monnaies spéculatives, échangées frénétiquement par le biais du trading pour capter une part du gâteau. Ce marché footballistique erratique favorise l'émergence de personnes « surintéressées » qui recherchent des rendements capitalistiques immédiats, même minimes. Ballotés de clubs en clubs, les joueurs ont de moins en moins de temps, donc de la stabilité nécessaire, pour se développer. Même dans les ligues inférieures, cette stabilité est mise à mal par une concurrence exacerbée pour avoir les meilleurs joueurs, ce qui génère des contingents en perpétuel changement. Pour le bien des joueurs, il serait temps de se détacher de cette instabilité en cultivant la patience footballistique.
Par essence, les métiers de la terre/de la nature exigent de la patience, en laissant du temps au temps. Si les engrais et la génétique essaient de nous faire de plus beaux produits qu'hier, reste que leurs temps de maturation ne se réduisent pas, ou difficilement. Cette réalité s’applique aux joueurs, dont le talent peut paradoxalement devenir leur talon d'Achille. En effet, le talent attire les convoitises, ce qui a pour conséquence de propulser trop vite des joueurs immatures dans le grand bain. Or, le timing, c’est-à-dire faire les bonnes choses au bon moment, est une des clés du succès dans le football. Cette règle s’applique tant au jeu qu’à une planification de carrière. En son absence, il est effarant de se réjouir que certains talents aient échappé au maillage des scouts, car cela leur donne le temps de se développer correctement pour assurer leur compétitivité future [1]. En effet, combien de jeunes joueurs ont été propulsés en première équipe alors que leur apprentissage et leur développement physique n’étaient pas encore achevés ? [2]. Il est entendu que ces joueurs avaient leur place sur le terrain. Mais, du fait de leurs immaturités physique et psychique, ils ont fini, pour la plupart, par faire long feu en se brûlant leurs ailes.
Il est vrai qu’il y a toujours des contre-exemples. Mais le succès d’un joueur ne justifie pas tous les joueurs que l’on a broyés et que l’on a laissés sur le bord des terrains. Ce n’est pas « un problème » pour les grands pays du football qui jettent après usage Paul pour le remplacer par Pierre tellement leurs réservoirs de joueurs talentueux sont immenses. Mais pour les petits pays, démographiquement parlant, tels que la Suisse, qui n’est pas plus peuplée que l’Ile-de-France faut-il le rappeler, c’est une grave incompétence de gâcher ses rares talents.
Dans ce contexte, il m’arrive d'être sollicité pour « booster » le physique de joueur impubère. Par souci d’honnêteté, je réponds qu’il est préférable d’attendre les premiers poils au menton, ou les boutons d'acné, pour qu’un accompagnement individuel soit vraiment efficace. Mais dès cette puberté des joueurs, le PPF a le pouvoir de précipiter le développement physique des joueurs. Il peut aussi, à l'inverse, le modérer afin qu’ils puissent exprimer tout leur potentiel sur le terrain sur le long terme. Par modération, je comprends de prendre le temps d’aller vite en fixant, de concert avec le joueur et son entourage, des objectifs réalistes de progression physique par l’outil de la planification. Cette exigence vaut pour tous les aspects de développement des joueurs, à l’exemple des acquisitions techniques, car « En allant vite (ici dans le sens de précipité), on ne peut seulement faire que ce que l’on connaît déjà. Il n’y a pas de place pour la nouveauté.» [4].
En résumé, pour contrer les multiples précipitations irraisonnées induites par la passion du football et de son marché économique, je suis presque tenté de louer le culte de la lenteur [5], ou plus certainement celui de la patience en ayant le souci de respecter les différents temps de maturation des joueurs.
[1] Adrien Sedeaud, Quentin De Larochelambert, Audrey Difernand et Andy Marc, De la détection de performance vers l’estimation de potentiel individuel, in Individualisation de l’entraînement, Réflexions et exemples dans le sport de haut niveau. INSEP Edition, 2022. P. 17 à p. 36.
[2] Lire à ce propos un article des plus intéressants sur Yves Miéville https://www.letemps.ch/sport/yves-mieville-18-ans-force-tranquille-defense-servette-fc dont le talent aurait mérité une carrière encore plus remarquable si on avait pris le temps de bien travailler son physique comme il me l’a confirmé sachant que pour le reste, Yves avait tout ce qu’il fallait.
[4] Anat Baniel, Move into Life, NeuroMovement for lifelong vitality, Editions Crowning Beauty Publishing Compagny 2015, in Olivier Pauly, Posture et coordination, éducation et performance, Editions De Boeck Supérieur, 2019.
[5] Carl Honoré, Éloge de la lenteur, et si vous ralentissiez, Editions Marabout, 2013.
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