La « précipitationnite », un des tue-l'amour de la vitesse footballistique !
- xavierblanc
- 4 mars
- 20 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 2 jours

La précipitation est un défaut bien connu dans le football. Preuve de son importance: son mot est couramment utilisé pour décrire un joueur ou le style de jeu d’une équipe. Pourtant, si vous demandez à un footeux comment elle se manifeste en vrai sur le terrain, outre un vague « c’est agir trop vite », un silence flottant, rempli d’incertitude s’installe plus ou moins longtemps. Cet écrit vise alors à mieux comprendre ce phénomène sous l’angle de la préparation physique footballistique. Son objectif est de proposer des solutions pour le réduire en allant plus loin que le faire pour faire en approfondissant le comment faire-faire de l’entraînement physique footballistique.
Les sens des mots déterminent les pouvoirs et les qualités d’intervention des PPFs !

En affirmant que le football est un sport de vitesse, je m’oblige à préciser les termes de ses éléments constitutifs positifs et négatifs pour en saisir ses conséquences d’entraînement. Sans cet effort de clarté, je risque, selon l’adage d’Albert Camus, grand gardien de football amateur, d’apporter mon écot aux maux de mon domaine d’intervention à cause de définitions et par-là d’utilisations inappropriées, car pas assez explicites des mots.
En aidant à découvrir ce qu’il convient d’entraîner en mettant dans la bonne direction d’explication, d’intervention et donc de réalisation, cette recherche sémantique est très loin d’être vaine. Les mots donnent de la substance et de la profondeur pédagogiques au savoir technique des préparateurs physiques footballistiques (PPFs) puisqu’ils sont le contenu de leur boîte à outils d’enseignement.
Pour éviter des « situations où l’on se tire des balles dans le pied », l’idée est de retourner aux sources en découvrant les multiples sens des mots de la préparation physique footballistique. Cette démarche révèle la richesse et la complexité de son vocabulaire, soulignant la nécessité de le contextualiser footballistiquement.
Cela indique aussi que la préparation physique footballistique, ce n’est pas n’importe quoi à disposition de n’importe qui, pour faire-faire n’importe quoi à n’importe qui !!
Les enjeux de la définition de la précipitation footballistique
J’ai choisi présentement de discuter de la précipitation footballistique pour deux raisons. D’abord, parce qu’avec la « forcite » (une surutilisation de sa force), elle représente l’un des principaux problèmes de l’expression de la vitesse footballistique. Ensuite, parce que je dois constamment expliquer aux joueurs que j’entraîne la différence entre vitesse et précipitation, ce qui en démontre le besoin d’éclaircissement.
L’objectif de mon propos est alors d’établir, par une « exégèse footballistique » de la précipitation, un lexique pertinent susceptible d’améliorer l’enseignement et l’apprentissage techniques de la gestuelle concernée. Sous l’égide de leur PPF, dont le cahier des charges consiste aussi à enseigner comment apprendre à apprendre, les joueurs sont invités à mettre des mots sur leurs sensations gestuelles [1]. Ils aiguisent ainsi leur compétence verbale pour exprimer et comprendre leurs exécutions gestuelles. Les mots deviennent alors un outil essentiel pour affiner leur perception de leurs mouvements ou à se découvrir footballistiquement, ce qui va optimiser leur possibilité de correction et donc en fin de chaîne leur performance.
La définition de la précipitation footballistique
Le CNRTL définit la précipitation comme une « hâte excessive qui rend une action irréfléchie et désordonnée ». Appliquée à la vitesse footballistique, je la traduis par « une exécution gestuelle non optimale », qui limite la performance du joueur. Elle détériore, ou affecte, à la fois la rapidité et la qualité technique des gestes.
D’après mes observations du terrain, cette « précipitationnite » prend la forme d’un brouillage des mouvements du joueur. Sa gestuelle devient confuse, superflue, mal synchronisée, parfois illisible et peu efficace. Au lieu d’une action fluide et maîtrisée, elle donne à voir un enchaînement gestuel chaotique, où tout semble « se faire en même temps, sans ordre ni direction précise ».
Ce désordre gestuel provient donc par définition d’un manque d’ordonnancement gestuel ou plus précisément d’une faible qualité des coordinations spatiale et temporelle des gestes des mouvements. En identifiant les causes de ce manque, puis en les annihilant, cela atténue ou annule, selon le principe « en éradiquant une cause, cela éradique ses conséquences », la survenance de la « précipitationnite ».
Ses causes et ses conséquences footballistiques
En couplant ma définition de la « précipitationnite » avec celle systémique du football qui le subdivise en composantes mentale, physique, technique et tactique, j’identifie, par ces 4 angles d’analyse, quoi elle est et quels sont ses effets sur le physique footballistique.
Du point de vue du physique footballistique
Le « tout faire gestuel en même temps » consomme beaucoup d’énergie en faisant aller partout, donc nulle part. Pour quand même aller dans le sens du jeu, ce gaspillage gestuel oblige inconsciemment le joueur à se rééquilibrer corporellement avant chaque mouvement pour se mettre en ordre de jouer, c’est-à-dire que ses techniques de maîtrise du ballon et de déplacement s’expriment correctement. Pris isolément, cet effort semble minime, mais sur un match, avec plus de 10 000 gestes par joueur, un surplus gestuel de 5 à 10 % augmente significativement la charge physique d’un match. D’autant plus que nous dépensons déjà environ 100 calories par heure pour juste maintenir notre équilibre, c’est-à-dire éviter de chuter.
Il signifie aussi que les joueurs abrègent leurs gestes en passant trop vite, ou sans distinction chronologique, de l’un à l’autre. Cela est possiblement dû aux étriquements corporels générés par la déformation posturale que le football génère sur les joueurs. En effet, l’étriquement raidit les muscles, ce qui réduit leur amplitude d’étirement, ce qui déclenche des co-contractions musculaires involontaires, inopinées et impromptues. Cette agitation gestuelle provoque des tensions musculaires supplémentaires qui induisent des coûts énergétiques de rééquilibrage qui finissent par limiter l’engagement physique des joueurs dans le jeu.
Dans la même veine de réflexion, mais en partant du point de vue et du principe que plus les muscles sont étirés, plus ils donnent d’énergie musculaire contractile, on comprend alors très vite que la « précipitationnite » obère le rendu énergétique des muscles en empêchant leur amplitude.
Je ne peux pas occulter ici le fait qu’une préparation physique footballistique bien conduite peut paradoxalement produire de la « précipitationnite ». par effet pervers. Une des plus grandes difficultés d’un PPF, vu les déséquilibres musculaires que génèrent le football, n’est pas seulement d’obtenir un état général de forme corporelle des joueurs, mais que cet état de forme global provient d’un cumul positif des états de forme corporelle locale. Autrement dit, qu’il y ait une concordance selon une logique « glocale » dans les mises en forme des différentes parties corporelles. Sans cela, vous pouvez avoir un gap de tensions grandissant entre les dimensions macro et micro d’un corps. Ces surtensions produisent inévitablement de la désharmonie et de la désynchronie coordinatives qui précipitent les gestes et expliquent nombre de blessures.
Si le football à son plus haut niveau physique est encore aujourd’hui de niveau régional, il demande énormément énergétiquement pour repartir lors de chaque action dans l’espace par des projections corporelles de qualité. La capacité que le football demande alors aux joueurs est de rester consistants dans leur mobilisation énergétique. Pour se maintenir vaille que vaille dans le jeu, malgré la fatigue de plus en plus grande, les joueurs ont tendance à abréger de plus en plus leurs mouvements par économie d’efforts… ce qui produit de la « précipitationnite » par surplus gestuel.
Pour rester compétitifs malgré la dépense énergétique excessive de la « précipitationnite », il arrive que le métabolisme aérobique des joueurs soit développé à outrance par intermittent vitesse maximale aérobie. Cela revient à soigner un symptôme en combattant le mal (trop de dépenses énergétiques) par le mal (en investissant plus d’énergie que nécessaire pour tenir un surplus énergétique non-nécessaire), ce qui génère de fait des surcharges inappropriées d’entraînement. Ce « remède métabolique » ne supprime pas la maladie, il peut même l’aggraver. En favorisant la fatigue chronique par burn-in, il rend les joueurs nerveusement instables, plus fébriles ou surexcités, ce qui nourrit potentiellement une tendance à la « précipitationnite ».
Du point de vue du mental footballistique
Comme nous le suggère Lucrèce, « rien ne vient de rien ». Cela nous informe que les joueurs expriment dans leur jeu ce qu’ils sont. Leurs mouvements reflètent leur personnalité et leur état d’âme, d’autant plus que « émotion » et « mouvement » partagent la même racine latine, « movere ». Ainsi, un empressement gestuel excessif découle souvent d’un tempérament impétueux, nerveux, d’un manque de confiance, d’une insécurité ou encore de l’envie de trop bien faire qui s’illustre concrètement par le proverbe « le mieux est l’ennemi du bien ». Autrement dit, la précipitation et les émotions sont étroitement liées, par le fait que les secondes déterminent la première.
Dans ce cadre, un distress émotionnel altère par fébrilité la prise de décision ce qui accélére le traitement de l’information de manière contre-productive. Sous pression, un joueur atteint de « précipitationnite » tend à privilégier les immédiatetés des actions au détriment de solutions footballistiques plus pertinentes. On comprend bien ici comment la « précipitationnite » réduit mentalement la lucidité, favorise les erreurs techniques et compromet la lecture du jeu.
Du point de vue de la technique footballistique
Pour véritablement bien exister dans le football d’aujourd’hui et plus encore de demain, les techniques footballistiques de maitrise du ballon et de déplacement doivent concilier la plus haute vitesse possible avec la plus grande précision possible. Or, selon la loi de Fitts, la vitesse et la précision ont une relation contraire. Plus on est vite, moins on est précis.
À ce titre, si un niveau de vitesse détériore la qualité de la précision technique, comprise ici comme la capacité d’atteindre une cible et/ou d’être dans le bon espace de jeu au bon moment, le joueur souffre de « précipitationnite ». Je comprends alors celle-ci comme un niveau de vitesse gestuelle qui brusque le déroulement harmonieux et fluide des designs moteurs de la gestuelle technique. Pour illustrer ce propos, cette situation s’assimile à une voiture en surrégime dont on veut élever le niveau de vitesse en appuyant sur la pédale des gaz au lieu de passer une vitesse supérieure.
Du point de vue de la tactique footballistique
Pour le profane que je suis, il semblerait que la tactique footballistique, « c’est mettre en place son équipe afin que ses actions soit performante, c’est-à-dire tout à la fois efficace, efficiente et pertinente ». Pour faire comprendre cette mise en place et la concrétiser sur le terrain, des systèmes de jeu ont été développés au fil du temps. Ceci afin d’optimiser les prises d’espaces selon les qualités des joueurs de son équipe ou d’en minimiser les faiblesses pour être en mesure de gagner le match. Mais toute organisation peut rester lettre morte, si son animation n’est pas bien coordonnée, à savoir que les actions des joueurs « s’ordonnent ensemble ».
Pour donner une image parlante de cette obligation tactique, la « précipitationnite » s’apparente à « jouer plus vite que la musique ». Dès lors, on peut considérer métaphoriquement qu’un match réussi s’assimile à une symphonie gestuelle bien jouée. Pour ce faire, ses musiciens interprètent ensemble sous l’égide et l’impulsion d’un chef (l’entraîneur) des partitions équivalentes ici à des systèmes de jeu. Le tout s’ordonne sur les tempos de ses partitions, soit grossièrement en moderato (rythme modéré ou ni lent ni rapide), allegro (rythme rapide et vif) et presto (rythme très rapide). Le tempo coordonne ainsi les jeux des musiciens en les ordonnant rythmiquement. Cela n’empêche pas, bien au contraire, les variations, soit notamment des envolées de solistes virtuoses. Les rythmes des tempos régulent ainsi harmonieusement l’action commune ou le jeu d’une équipe. Ils permettent à chacun de s’exprimer individuellement tout en jouant avec son ensemble musical en s’éloignant et en revenant toujours dans le rang, ou le système de jeu, grâce au rythme du tempo de la partition. Dans cette perspective, le design de la circulation du ballon d’une équipe s’assimile à la mélodie d’une symphonie.
Selon cette appréhension, un joueur qui exécute ses gestes trop hâtivement, c’est-à-dire qui a 1 ou 2 temps d’avance sur la cadence rythmique du jeu de son équipe, perturbe les synchronisations collectives. Il créé des décalages inopportuns qui rendent ses actions de jeu illisibles pour ses partenaires, ce qui l’exclut momentanément du jeu. Une équipe sujette à la « précipitationnite » d’un ou de plusieurs de ses membres aura tendance à gaspiller ses temps de possession, à perdre rapidement le ballon et à multiplier les fausses notes ou des actions désordonnées. Ainsi, le pouvoir d’ajuster physiquement la rythmique de ses vitesses de maitrise de la technique du ballon et de ses déplacements en fonction du tempo du jeu de son équipe, qui découle de ses Momentum de jeu forts ou faibles, c’est une compétence clé pour jouer footballistiquement juste, soit sans précipitation.
La prévention et la guérison de la « précipitationnite » footballistique
Pour résumer ce que j’ai passé en revue, la précipitation ne se limite pas à une simple action trop rapide, mais englobe un ensemble cumulatif de facteurs physiques, mentaux, techniques et tactiques qui nuisent à la performance du joueur et de l'équipe. C’est un mal qui a plusieurs facettes qui proviennent de multiples causes.
Selon les propos précédents et du seul point de vue physique, je diagnostique que la « précipitationnite » est une problématique générale d’efficience de la performativité de l’entraînement physique footballistique. Dans cet esprit, il s’agit de faire comprendre, et par là de faire accepter, aux joueurs l’idée « d’en faire moins pour obtenir plus » selon le moto anglais « Less is more ». La question qui se pose alors est de savoir quels sont les outils à mobiliser par le PPF pour y arriver.
Pour ma part, je résous ou atténue ce « tout faire en même temps » en incitant les joueurs à prendre soin d’eux, en réduisant leur étriquement corporel, en simplifiant le design moteur de leur mouvement et en cultivant leurs tempos des efforts.
L’incitation faite aux joueurs qu’ils prennent bien soin d’eux
Il est possible que certains ne distinguent pas le lien entre la santé et la précipitation. Pourtant, si on considère, selon une approche holistique, que la santé pour l’OMS « c’est un état complet de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas en une absence de maladie ou d’infirmité », ma proposition garde tout son sens. En effet, partant du principe qu’il n’y a pas de performance pour les « mal-heureux », un footballeur qui veut performer doit prendre soin de lui pour bien vivre son football.
Concrètement, cela signifie que le joueur se doit fondamentalement de créer et d’entretenir précieusement son énergie vitale, sachant que, in fine, c’est la ressource à l’origine de la production mécanique des mouvements. Plus cette énergie sera haute, ou vibrera intensément, plus le joueur résonnera donc fera rayonner spatialement et temporellement son espace de jeu. Pour favoriser l’existence de cette énergie, il est de la responsabilité du joueur, malgré nos tendances à l'acrasie, de s’offrir une vie qui le nourrit à satiété physiquement, socialement, affectivement, spirituellement et psychologiquement.
Mais cela n'est pas suffisant puisque cette énergie n’a aucun impact positif terrain si sa transformation en mouvement donne une gestuelle erratique. Pour prévenir celle-ci, je développe, en tant que PPF, l’harmonie des mouvements en recherchant leur fluidité. Cette fluidité s’obtient par la production coordinativement calme, ou en prenant le temps d’aller vite, des mouvements que l’on remarque par des gestes amples aux enchaînements sans blocages.
Pour obtenir cette sérénité gestuelle, j’insiste pour que les joueurs se relâchent musculairement sur la base d’un caisson abdominal fort soit qui fixe les tensions corporelles. Ceci afin qu’ils se contractent mieux par la suite en laissant la possibilité à leurs muscles et à leurs chaînes musculaires de s’étirer. Le but est d’éviter qu’ils contractent des muscles déjà contractés, ce qui conduit à créer de la surtension de contraction qui réduit par irradiation musculaire l'amplitude des mouvements, ce qui induit automatiquement de la précipitation. De fait, ce relâchement exclut toute irradiation musculaire, ce qui permet d’activer, donc de renforcer, les muscles directement impliqués dans une production gestuelle. Cela rend celle-ci plus facile à réaliser, c’est-à-dire qu’elle n’est pas perturbée par la participation de muscles dont les apports inutiles ou indésirables vont produire de la « précipitationnite ».
Physiologiquement, je cultive cette sérénité en stimulant l’homéostasie nerveuse des joueurs. Je le fais parce que le football les malmène en les agressant, ce qui suractive leur système nerveux sympathique ce qui les adrénalise. Cette suractivation a pour conséquence de les rendre plus nerveux donc susceptibles de se précipiter. Je veille à cette homéostasie en renforçant préventivement leur système nerveux parasympathique. J’essaie de le faire en activant leur nerf vague et en leur faisant prendre conscience de l’importance de leur récupération de leurs efforts mais surtout de leur régénération. Le but ici est de maintenir un haut niveau d’alacrité des joueurs que je préserve aussi par le principe de surcompensation modérée constante lors du calibrage des charges physiques.
Dans ce cadre, j’interviens par ma casquette de thérapeute en médecine complémentaire par des massages classiques, de la réflexo-plantaire, des resets nerveux selon la méthode de l’IMP, de la respiration diaphragmatique et l’utilisation de bols tibétains. Dans cette logique, je me réjouis que les clubs proposent de plus en plus de séances de yoga, mais je déplore l’utilisation de la cryothérapie trop froide. En effet, ses températures excessivement basses « flinguent » le système nerveux parasympathique alors qu’un des buts de ces bains est notamment de le renforcer pour contrebalancer la suractivation du système nerveux sympathique. Des bains d’eau à 12 deg - 14deg suffise et la remplace très avantageusement.
Je favorise la sérénité corporelle des joueurs en leur apprenant à apprendre afin qu’ils soient en capacité de résoudre en toute quiétude cognitive les difficultés des tâches qu’ils rencontrent sur le terrain. Pour ce faire, je donne un cadre sécurisant d’apprentissage en combinant exigence et bienveillance. Autrement dit, j’accepte les erreurs, les fautes et les limitations et même je les encourage parce que ce sont des informations qui vont mettre en situation et en capacité de comprendre les fonctionnements gestuels pour les résoudre. Dans cette perspective, les critiques correctives ne sont pas des dénigrements des capacités des joueurs, mais l’identification opportune de potentiels progrès physiques. Dans cet esprit, tout processus d’apprentissage bien mené favorise la confiance des joueurs qui en se découvrant se fient progressivement dans leur capacité corporelle pour résoudre les difficultés. Ce lâcher-prise corporel par définition détend, ce qui protège de toute agitation superflue.
Je veille aussi à ce que le calibrage de mes exercices respecte et concrétise les objectifs sportifs de joueurs. S’ils ne concordent pas, nous nous retrouvons soit dans des situations d’entraînements trop faciles, qui ennuient et gaspillent du temps précieux, soit trop difficiles, dont les échecs d’exécution créent des sentiments d’incompétence qui insécurisent et rendent fébrile.
Dans le cas où le joueur vit une situation difficile, c’est-à-dire qui le surtend, nous la déconstruisons de concert selon les principes de l’action collective que j’évoque dans le cadre d’un management contextuel de la préparation physique footballistique. Ceci afin que le joueur soit à même de comprendre rationnellement et de dépersonnaliser la problématique. Cette rationalisation a pour but de prévenir l’apparition de réactions émotionnelles éruptives instinctives et passionnées pas toujours bonnes conseillères. Cette capacité de recul favorise la gestion adéquate des situations délicates, voire injustes, qui prolifèrent dans le football à cause de ses enjeux.
Ces propositions coulent de source. Pourtant, dans la réalité, elles sont souvent négligées ou mise sous le tapis vert. Par inconscience, pour ne pas dire plus, mais aussi parce que les joueurs cachent leurs restrictions corporelles et les tensions qui en résultent, donc leur réel état de santé, pour jouer. Sans compter, que les staffs nient ces restrictions en appliquant le principe « nécessité faisant loi » en faisant jouer des joueurs plus ou moins blessés. Bref, nous occultons tous, tout mal-être en prônant le fait que dans le football on est solidaire, gaillard et que les bobos font partie de ce jeu. Or « en serrant continuellement les fesses » pour paraître fort, ou passer au-dessus de la douleur, cela affaiblit inexorablement les joueurs en obérant leur alacrité en les rendant fragiles, insécures, fébriles, énervés, agités soit tous les ingrédients pour être atteint de « précipitationnite », de candidater à une blessure et d’accumuler les cartons jaunes et rouges.
Dans cet esprit, un calme footballistique soutient positivement l’expression du talent footballistique des joueurs. Cela leur permet d’avoir la réserve, ou le tampon, nécessaire pour affronter les ascenseurs émotionnels des matchs eux-mêmes mais aussi des coulisses du football. Il nourrit l’endurance mentale nécessaire pour affronter les inévitables tempêtes footballistiques qui déstabilisent et ainsi suraiguisent les sensibilités des joueurs, ce qui fait le lit mental de la précipitation.
À la lecture de ces propos, on pourrait penser que la « précipitationnite » se règle aussi par les outils de la préparation mentale. Oui, pour le très haut niveau soit lorsque l’entraînement, qui est le premier coach mental, ne remplit plus ses fonctions d’apprentissage. Pour les autres niveaux, l’entraînement et le match suffisent pour apprendre au joueur à vivre et assumer ses émotions en toute quiétude.
Mais il est aussi possible que le joueur soit mis corporellement en tension parce qu’il doit gérer des émotions qui ne lui appartiennent pas dans le sens qu’il subit, et parfois est victime, des projections malvenues de son entourage et de son environnement proches. Je considère que cela est du domaine de la psychologie par le fait que cette problématique, que le football révèle mais dont il n’est pas la cause, touche, et par-là concerne, la stricte sphère privée. Il en est de même lorsque le joueur surjoue, selon le principe que « le mieux est l’ennemi du bien » par passion ou pour exister aux yeux du monde. Bref, au joueur de bien organiser sa vie pour que son jeu s’ordonne bien.
La réduction de l’étriquement corporel
Lorsque le niveau de l’étriquement corporel limite la production mécanique de la vitesse corporelle, je le traite fonctionnellement dans le mouvement lors des exercices de mon école de la vitesse footballistique ainsi que par de la musculation. J’applique ici les principes d’amplification et de variation des mouvements.
Si un niveau d’étriquement empêche carrément des mouvements ou les détermine, ce qui nous indique que leur niveau de biotenségrité n’est pas optimal, j’interviens par des séances isolées de Stretching Global Actif matinées de contracté-relâché. Je propose aussi des séances de mobilité et d’étirement par balancement harmonique. Ce type de travail limite notamment l’apparition de co-contractions musculaires.
Lors d’un effort, j’essaie de faire comprendre aux joueurs qu’il s’agit d’affronter la difficulté en gardant leur amplitude de mouvement par de la décontraction, soit « en ayant mal sans se faire du mal », pour absorber les douleurs qui surgissent selon le principe… « les contractions sont mes amies ». Ce processus limite de fait des étriquements corporels dus à la douleur de l’effort qui précipite et qui incite à utiliser la force pour forcer musculairement la réalisation des mouvements.
Je saisis l’occasion des séances de musculation pour proposer des exercices de bases d’haltérophilie tels que des arrachés. Ces mouvements permettent de diagnostiquer dynamiquement les disharmonies corporelles lors de la production gestuelle, sachant que plus les zones corporelles sont utilisées, plus elles sont saillantes et/ou massives. Je résous ces déséquilibres musculaires in situ en entraînant l’harmonie du synergisme musculaire selon la coordination intermusculaire de la modalité de la vitesse-force.
La recherche de la simplicité gestuelle
J’identifie deux champs d’investigation pour éviter qu’une technique de la maitrise du ballon et des déplacements soit affectée par de la « précipitationnite ». La première est de bien (faire) comprendre aux joueurs que toute gestuelle de qualité, c’est-à-dire ici non-précipitée, a une chronologie soit que les mouvements se décomposent selon un chemin gestuel moteur qui a un début et une fin. La seconde, complémentaire à la première, est de reconstituer ce chemin par un séquençage simple des gestes [2]. Un geste devient simple lorsqu’il est dépouillé, ou épuré, de double ou de triple tâches, tel un rééquilibrage corporel, non nécessaire normalement pour le réaliser. En favorisant le mariage de la vitesse et de la précision par cette recherche de simplicité gestuelle, cette dernière devient une des compétences clés rendant toute gestuelle plus directe et tranchante, soit le contraire d’une précipitationnite ».
Ce ciselage séquentiel qui appartient à chaque joueur à cause de sa singularité va alors organiser, en respect des principes plein de bon sens « l’heure, c’est l’heure, avant l’heure, ce n’est pas l’heure, après l’heure, ce n’est plus l’heure » ou « avoir raison avant l’heure ou après l’heure, ce n’est pas avoir raison », dans les bons ordre et tempo, la réalisation technique voulue. Cela doit créer l’espace-temps nécessaire au temps nécessaire de réalisation pour produire de la précision technique. Le tout se remarque par des techniques de maitrise du ballon et de déplacement sereines, tranquilles, amples et exécutées aux bons moments du jeu. Cela donne paradoxalement l’impression visuelle qu’elle est lente. Ce n’est pourtant pas le cas selon l’exemple de Toni Kross dont le contrôle-passe et le jeu direct accéléraient systématiquement le jeu, cassaient les lignes ou créaient de dangereux décalages. Certains joueurs, notamment les grands gabarits ou les coordinativement excellents à l’exemple d’un Alvyn Sanches, sont même victime de ces fausses impressions et perceptions en faisant à voir de la nonchalance, alors qu’ils sont objectivement à leur plus haute vitesse d’exécution.
Mes propos s’appliquent aux techniques conjointes de maitrise du ballon et de déplacement. La question se pose alors de savoir comment ces deux types de techniques se combinent pour ne pas se péjorer mutuellement. J’ai évoqué le séquençage simple de la gestuelle technique. Je complète ce dispositif en priorisant toujours la qualité de la technique de maitrise du ballon à celle de déplacement. Ce garde-fou s’explique tout simplement parce que la première détermine, selon moi, la seconde.
Le tempo des efforts
Les logiciels de captation des efforts délivrent les statistiques (ou datas) de la performance physique des joueurs selon les intensités de vitesse des distances parcourues, les niveaux d’accélération et le nombre de répétitions des efforts. Or, en osant penser différemment, on peut considérer qu’un match ce sont 1200 actions cumulées par joueur. Cette perspective nous indique que le vrai effort physique footballistique consiste dans la capacité de réitérer incessamment des actions impactantes pour rester dans le jeu et/ou imposer son jeu. Dans ce cas, l’effort physique footballistique est assimilable à un cœur qui pulse plus ou moins vite et fort en fonction de la rythmique du jeu. Selon cette vision rythmique du match, le physique footballistique du joueur est à niveau quand il est capable physiquement de se mettre au diapason du tempo joué par son équipe et de le maintenir pour rester dans le Game en en étant un acteur qui pèse.
En suivant la logique mécanique qu’un mouvement s’enclenche par un premier geste qui déclenche un second puis un troisième et ainsi de suite jusqu’à la réalisation du mouvement désiré, le premier point clé d’une activation dans le bon timing d’une prise d’espace, c’est la qualité de la production du tout premier geste. Pour qu’il soit de première qualité, cela demande une haute mobilisation énergétique. Pour mettre le joueur dans cette disponibilité d’action, je lui propose d’identifier par l'écoute de ses sensations corporelles, le premier geste d’un mouvement et de favoriser son activation en accompagnant l’effort de mobilisation par une expiration correspondante. Simple comme bonjour ? Pas si sûr !
Il est toujours très instructif de regarder comment est produit le tout premier geste d’un mouvement d’un exercice. Il est très rare qu’il soit exécuté par les seuls muscles vraiment concernés, c’est-à-dire suffisants pour réaliser la flexion ou l’extension désirée. Pour un exemple parlant, j’ai pour principe d’activer les flexions de hanche, ou levé de genou, afin qu’ils les pointent dans la direction du jeu. Pour ce faire, le premier geste est de juste, et pas plus, décoller un pied du sol. Or, on en est souvent loin avec des rééquilibrages corporels préalables, des serrages de mâchoires, des mobilisations prématurées des bras ou encore des épaules pour faciliter ce décollage de pied, respectivement pour monter les genoux. Cela désactive les psoas, alors que ce sont eux que l’on cherche à activer en premier lieu. Comme le cerveau, par sa fonction vitale d’économie d’énergie, sélectionne les muscles les plus usuellement actifs, cela va les renforcer de telle sorte que progressivement ils se substituent aux muscles dont c’est la tâche et la raison d’exister. Si le mouvement existe, cela sera grâce à des muscles indirectement concernés par sa production, ce qui brouillera possiblement son exécution et donne de la « précipitationnite ».
Pour aider les joueurs à se mettre dans le bon tempo d’exécution, ou dans le bon ordre temporel d’exécution, je demande que leur mobilisation énergétique permettant de faire l’effort soit marqué par une forte expiration. L’idée est que les joueurs libèrent à ces occasions leur énergie, à l’image des cris des lanceurs en athlétisme, des boxeurs ou des tennis(wo)mans lors de leur frappe. Attention, je ne demande pas que les joueurs accompagnent chacune de leur production gestuelle par des cris stridents, mais qu’ils prennent conscience que le moment de l’effort à faire se situe en début de mouvement et non à leur fin. Si j’en suis arrivé à proposer cela, outre le fait que de profondes expirations vont mieux oxygéner, c’est parce que systématiquement, je dois leur apprendre à éviter de contenir leur souffle pendant un effort. Comme s’ils voulaient augmenter leur pression interne pour performer. Or, cela ne fait rien d’autre que d’enfermer une énergie, telle une cocotte-minute, alors que son rôle est d’être libéré pour produire des mouvements. Non seulement cela n’aide pas à l’activation de la prise d’espace, mais cela risque de la péjorer en s’exprimant chronologiquement faux, ce qui s’apparente à de la « précipitationnite ».
Selon la métaphore musicale évoquée, mais aussi parce qu’un élément constitutif de la coordination est le rythme, j’utile des rythmes sonores pour apprendre au joueur à exécuter en restant dans le rythme proposé pour obtenir une gestuelle harmonieuse, c’est-à-dire ordonnée séquentiellement. Cette option m’aide à harmoniser les masses du corps des joueurs pour les faire résonner d’une seule et même voix donc qu’elles participent au jeu sans bruits superflus.
Je stimule cette harmonisation à toute occasion. Notamment lors des exercices de musculation où je présente les exercices comme un mouvement constitué d’un ensemble de geste dont la chronologie séquentielle doit être respectée. Cela va produire des enchaînements gestuels sans blocage et sans frein permettant à l’énergie cinétique créée par ses gestes de se développer dans le sens du jeu et par là de rendre les joueurs plus impactant.
En conclusion
J’espère que cet écrit démontre que la « précipitationnite », ce n’est pas un quelconque « agir trop vite ». C’est une maladie footballistique à prendre très au sérieux, c’est-à-dire qu’il s’agit d’éradiquer, car elle empoisonne la qualité de l’ensemble de la performance footballistique. Heureusement, des mesures existent pour l’atténuer ou la corriger. Toutefois, il est possible que le dispositif que je propose charge trop le cahier des charges des PPFs. Dans ce cas, je les invite juste à développer l’élégance motrice de chaque joueur en les incitant à cultiver leur délicatesse gestuelle.
[1] Pour un exemple édifiant comment apprendre à voir et ainsi ressentir, lire Thomas Schlesser, Les Yeux de Mona, Edition Albin-Michel, 2024.
[2] Selon la proposition de François Bonnetblanc, Conflit vitesse-précision et loi de Fitts, Dans Movement & Sport Sciences 2008/1 (n° 63), pages 63 à 82.
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