De la généralisation individualisée à la personnalisation généralisée de la préparation physique footballistique !
- xavierblanc
- 8 févr.
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Dernière mise à jour : 9 mai

Dans sa quête de progression pour compétitionner plus haut, plus fort et plus vite, le football s'est, à partir des années 1970, lentement ouvert, le plus souvent contraint et forcé, à entraîner isolément son physique. Après avoir été traversé par plusieurs chapelles, ou doctrines, cet entraînement propose aujourd’hui principalement d’une part de développer métaboliquement la capacité et la puissance aérobiques par l’intermittent Vitesse maximale aérobique (VMA) et, d’autre part, une musculation fonctionnelle grandement teintée de Core-Training.

Par nature, le développement métabolique footballistique actuel privilégie, par activation répétitive des filières énergétiques impliquées dans l’effort aérobique footballistique, le volume d'entraînement afin de tenir constante l’intensité des matchs. Pour élever ce niveau d’intensité, cet entraînement se spécifie en s’appuyant sur les caractéristiques individuelles des joueurs pour calibrer ses charges [1]. Par-là, on quitte progressivement une généralisation des efforts, soit le même stimulus pour tout le monde, pour en adopter une individualisation, soit toujours le même stimulus, mais que l’on paramètre en termes de niveau de VMA, de durée, de distance, de temps de récupération… en fonction des qualités aérobiques des joueurs testées par les outils de mesure de la VO2max.
Pour sa part, la musculation footballistique se heurte au fait qu’elle ne profite pas aujourd’hui d’un cadre conceptuel très clair. Cela laisse libre cours aux expérimentations sans garde-fou, à l’exemple de l’utilisation du Crossfit, ce qui laisse augurer bientôt, si ce n’est pas déjà fait, l’utilisation possible du MMA, pour rendre, ou faire croire à, nos joueurs plus costauds, gaillards ou guerriers. Face à ce clair-obscur, les joueurs profitent a minima de programmes axés sur le préventif ainsi que sur la capacité de résister aux impacts de jeu. L’avancée la plus notable est d’être sorti des circuits-trainings pour tous (quoique !) pour aller vers des programmes plus individualisés en termes de types d’exercices préparatoires spécifiques au football, à l’exemple du programme FIFA 11+. Ceci afin de limiter les blessures récurrentes ainsi que les effets délétères du football sur le physique des joueurs. Le but de ces programmes prophylactiques est d’essayer, en parallèle parfois de médications malheureusement douteuses, de les maintenir dans le jeu en santé le plus longtemps possible. Ils ont toutefois le défaut général de cultiver un renforcement statique pour tenir l’équilibre corporel, alors que le football demande la capacité de bien retourner à l’équilibre. Cela signifie, en suivant les précieux conseils de Michel Pradet et autres [2], qu’il n’y a pas de gainage footballistique pertinent si l’on n’intègre pas dans ses exercices des stimulations de déséquilibre à résoudre performativement.
Il est entendu que ce passage d’une généralisation à une individualisation a apporté un gain supplémentaire de performativité physique. Cependant, comme le socle conceptuel des efforts footballistiques reste l’endurance, ce type d’entraînement atteint aujourd’hui ses limites, ou son plafond de verre. Simplement parce qu’il n’entraîne pas la vitesse footballistique par la vitesse maximale. Cela a pour conséquence de créer un décalage de plus en plus grand entre le niveau rythmique que le jeu dorénavant impose et l’entraînement physique de celui-ci. Ce décalage se constate notamment par des joueurs de plus en plus souvent blessés parce qu’en l’absence d’entraînement spécifique de vitesse, ils sont sans ressources neuromusculaires pour assumer sans dégâts physiques les intensités en saccade croissantes des matchs. Le risque est que cela les burnent-in tellement que parfois cela les mène au burn-out avec pour conséquence une réduction de leur espérance de vie footballistique. Concernant la musculation, sa fonctionnalité lui a permis de s’extirper de la musculation lourde, ou de la coordination intramusculaire, qui a le malheur de renforcer les effets posturaux négatifs du football en surtendant et en raidissant les chaînes musculaires. En revanche, cette fonctionnalité n’est fréquemment techniquement pas assez qualitative pour améliorer la montée de la puissance musculaire, soit l’explosivité, qui est un facteur direct d’amélioration de la vitesse maximale des joueurs.
En réponse à ces évolutions, ces manques et/ou ces absences, les joueurs sentent le besoin d’engager des préparateurs physiques personnels (PPF) pour bénéficier par définition de programmes… personnalisés. Outre de possibles problèmes de coordination entre les préparations physiques d’équipe et individuelle, cette tendance nous informe en creux que l’entraînement du physique footballistique actuel ne les stimule à leur goût pas suffisamment plus haut, plus vite et plus fort. Or, pour le faire, la solution est simple puisqu’il s’agit de considérer désormais le football comme un sport de vitesse.
Dans ce paradigme d’intervention, le paramétrage des charges est fonction du niveau de vitesse maximale des joueurs. Sur cette base, je cherche ici, tout à la fois, à extraire, à optimiser et à développer qualitativement et quantitativement la vitesse maximale footballistique des joueurs. Cela implique que les déterminants de la production de cette vitesse footballistique soient bien compris afin que les PPFs puissent diagnostiquer celle de chaque joueur. De généraux, puis individualisés, les entraînements physiques deviennent obligatoirement personnalisés puisque la vitesse footballistique des joueurs s’entraîne sensitivement. Pour corriger les joueurs, soit personnaliser ses interventions en fonction des fautes de ces derniers, le PPF doit s’appuyer sur son « savoir et son ressenti techniques » sachant que la sensation de vitesse est par définition insaisissable par les outils digitaux corporellement désincarnés, soit impersonnels.
Cela ouvre une nouvelle ère de développement du physique footballistique à savoir que la priorité de son entraînement n’est plus métabolique, mais coordinative. Il ne s’agit plus de mobiliser à outrance la capacité et la puissance aérobiques des joueurs par d’incessants efforts intermittents qui redondent avec les jeux de possession/conservation et les jeux réduits, mais d’intégrer dans la réflexion les facteurs limitants de la production coordinative de la vitesse maximale des joueurs. Cette réflexion inclut des notions d’équilibre, de réactivité, de différenciation, d’orientation et de rythme, mais aussi de synergisme intermusculaire, de posture, d’état de santé, de niveau technique de maitrise du ballon, du niveau de biotenségrité, de l’âge biologique, des blessures, de l’état neuromusculaire, de l’état émotionnel, du niveau d’alacrité, de la nature des sols d’entraînement…
Il est d’ailleurs amusant, ou triste selon son humeur et de son amour du beau jeu, de constater que ma proposition consiste juste à revenir aux bases de l’entraînement de l’école de football, ou aux joies du football de rue, qui faut-il le rappeler, est principalement coordinatif. Cela signifie pour le joueur de ne jamais oublier de préserver et de développer son coordinatif tout au long de sa carrière en tant que le fil rouge, donc le fondement, de toute amélioration de ses capacités physiques footballistiques. Or, malheureusement, ce coordinatif est très vite remplacé par du métabolique dès la puberté, voire même un peu avant, à cause de la peur atavique que les joueurs ne tiennent pas la répétition des efforts de match. Ce qui est paradoxal, mais aussi symptomatique de l’importance primaire de cette coordinativité, c’est que les joueurs qui ont atteint un certain niveau métabolique la réinvestissent en recherchant, le plus souvent inconsciemment, à développer et/ou réactiver les sources et les origines coordinatives de leur talent footballistique pour le bonifier.
La difficulté de cette approche est qu'elle demande aux joueurs d’intégrer en subtilité, soit en décontraction pour être en mesure de bien et mieux contracter leur appareil neuromoteur, des stimuli de la plus haute qualité pour produire en élégance, et non en brutalité par l’usage de la force, de la vitesse maximale. Cela signifie que pour améliorer la production coordinative de la vitesse maximale footballistique, c’est-à-dire de faire l’effort de la produire sans efforts, cela exige de la patience, de la rigueur, de la cohérence, de la consistance, de la sobriété et de la sagacité.
Pour répondre à ces exigences, j’adopte une approche qualitative-holistique. Par elle, j’essaie de réfléchir à chaque aspect de la production de la vitesse footballistique en fonction des besoins et des personnalités morphologique, émotionnel et psychique des joueurs. Outre cette personnalisation, je réduis la complexité de la Chose par une approche systémique. J’essaie simultanément d’étendre et d’élever en interdépendance toutes les qualités physiques des joueurs à leur plus haut niveau d’expression par leur vitesse maximale afin que cela devienne leur atout maître de déplacement pour la durée d’un match.
Dans cette perspective, il n’y a plus de phase de généralisation intensifiée par de l’individualisation des charges. Il y a seulement une phase de personnalisation dont la progression profite par interférences positives à toutes les qualités physiques des joueurs. Bref, on personnalise pour généraliser plus haut, plus fort et plus vite. En revanche, la généralisation, qui par ses stimuli uniformes convient au plus grand nombre en étant fixée sur les capacités des moins forts des équipes, ne permet pas une personnalisation du physique footballistique. L’idée finale de cette dernière est ainsi de remplacer le faire pour faire obsolète, routinier, inefficace, inefficient, inutile et inapproprié par le comment mieux faire-faire. Ce besoin de généralisation de la personnalisation d’amélioration du physique des joueurs n’est toutefois pas exempt d’obstacles et d’enjeux.
Premièrement, comme elle remet en question, telle une révolution copernicienne, les compétences des PPFs, il est possible qu’elle se heurte à une résistance au changement. Cela demande aux PPFs de s’oublier en se décentrant par focalisation sur les besoins des joueurs, de se former en conséquence en laissant sur le chemin le paradigme d’endurance pour adopter celui de la vitesse. Ceci afin qu’ils arrêtent d’entraîner la vitesse footballistique comme des entraîneurs d’endurance, mais de vitesse. Il est à noter que ces deux populations d’entraîneurs ne se mélangent d’ailleurs pas du tout en athlétisme. En l’absence de cette (re)conversion, un manque de sensibilité à la vitesse devient éthiquement intolérable dans le sens que celui qui en paie le prix dans tous les sens du terme reste au final le joueur. Pour se préserver de mauvaises surprises, mais aussi parce que c’est sa responsabilité de bien prendre soin de lui, je l’invite alors à questionner son PPF pour connaître son option stratégique d’entraînement, son concept d’intervention, le but de chaque exercice à faire et les tenants de son paramétrage des exercices. En l’absence de réponses intelligibles pour le joueur, donc claires, peut-être que le temps des questions à bien se poser est alors venu !
Deuxièmement, la question peut survenir de savoir comment réitérer tout au long d’un match une vitesse maximale. En effet, intuitivement, tout le monde pense a priori que si on se déplace plus vite, on s’épuise énergétiquement plus vite. Cependant, cette affirmation causale ne se vérifie pas dans le football. En effet, l’intermittent Repeat Sprint Ability (RSA), soit la répétition de séquences à vitesse maximale de courte distance (15m à 25m), nous a démontré que plus on se déplace vite, moins on se fatigue [3] parce que l’on est certainement par hypothèse plus coordinatif. On peut donc tenir la répétition des efforts des matchs par l’entraînement quantitatif de la vitesse maximale sur la base d’une mobilisation en capacité et en puissance de la filière anaérobique alactique. Cela n’exclut pas de l’entraînement physique footballistique le maintien et l’amélioration de la capacité et de la puissance aérobiques des joueurs. Mais leur finalité est d’améliorer les facultés de récupération inter-effort en tant que moyen pour supporter la répétition d’efforts maximaux en métabolisant mieux par oxydation les lactates produits par les joueurs. Les exercices intégrés, tels que les jeux de possession/conservation pour la capacité aérobiques et les jeux réduits pour la puissance aérobique, suffisent pour le faire à la condition que le niveau de la technique de maitrise du ballon des joueurs leur permet de garder la balle en jeu pour être correctement, en termes de rythme et de durée, stimulés. À défaut de cette technique de maitrise du ballon, il s’agit de proposer spécifiquement des intermittents VMA. Autrement dit, l’entraînement par intermittent VMA se justifie lorsque des joueurs n’ont pas le niveau technique suffisant leur permettant de s’améliorer dans et par le jeu. Cela signifie que l’amélioration de la technique du ballon des joueurs doit toujours primer, pour élever le niveau de jeu, sur un intermittent VMA qui doit juste être considéré comme une solution d’entraînement de dernier re et se-cours.
Troisièmement, si le coordinatif est la priorité de son entraînement physique footballistique, cela oblige selon la loi de Fitts, à réfléchir sur comment marier, en combinant positivement, vitesse et précision alors qu’ils ont une relation contraire, c’est-à-dire que plus on va vite, moins on est précis. Le risque sinon est que le footballeur fasse un autre sport en devenant un athlète sprinter, soit sans la capacité coordinative d’utiliser en vitesse sa technique de maitrise du ballon. Je résous ce conflit potentiel de double tâche pour en faire une par le fait que chacune de mes interventions vitesse respecte la primauté de la technique de maîtrise du ballon, ou est au service de son expression, à l’exemple de mon analyse posturale de la production de la vitesse footballistique. Je le fais en rendant les tâches des exercices les plus simples possibles [4], c’est-à-dire dépouillées de tout geste superflu. Cette stratégie s’explique et se justifie par le fait qu’il semblerait qu’il y ait, selon mon nez, une corrélation positive entre les capacités techniques de la maitrise du ballon et celles de la production de la vitesse.
Quatrièmement, entraîner coordinativement le physique footballistique signifie que l’on a compris ce que ce terme signifie. Littéralement, cela désigne « ordonner ensemble ». Pour ce faire, cela implique que la vitesse footballistique soit saisie comme la succession et la combinaison aléatoires de mouvements cyclique, acyclique et le passage de l’un à l’autre pour lesquels on cherche à améliorer la fluidité en prenant le temps d’aller vite, c’est-à-dire en s’amplifiant, ou en se grandissant, pour éviter toute précipitation qui peut se définir ici comme tout faire en même temps. Pour donner une image, l’idée est que le joueur déploie sa vitesse en passant successivement sans accrocs, et lorsqu’il le faut, de la première à la cinquième et non pas de passer tous ses moments de vitesse en même temps sans ordonnancement, ce qui va d’ailleurs le faire caler ou exploser sa boîte de vitesse. L’existence même de cette dernière montre bien qu’il est nécessaire d’ordonner la vitesse pour que celle-ci existe vraiment ! Sinon, à quoi bon en doter nos différents véhicules.
Cinquièmement, une personnalisation généralisée demande concrètement et pratiquement pour des sports collectifs des exercices qui permettent tout à la fois les développements d’équipe et individuel. Cela signifie d’identifier les invariants des mouvements qui s’appliquent à tous les joueurs, mais que l’on peut faire varier en fonction de leurs singularités afin que chacun y trouve son compte, c’est-à-dire progresse. Cette perspective demande alors d’identifier les principes directeurs minimaux d’exécution des exercices proposés pour en tirer des points correctifs de coaching.
[1] Collectif, Individualisation de l’entraînement, Réflexions et exemples dans le sport de haut niveau. INSEP Edition, 2022.
[2] Olivier Maurelli, Bruno Parietti, Michel Pradet, Gainage pour le sportif, Editions Amphora, 2017.
[3] Jack H. Wilmore, David L Costill, Larry Kenney, Physiologie du sport et de l'exercice, Editions de Boeck Supérieur, 2017. p. 175. D. Bishop, O. Girard, A. Mendez-Villanueva, Repeated-Sprint Ability – Part I, Factors Contributing to Fatigue, Sports Med 2011; 41 (8): 673-694. D. Bishop, O. Girard, A. Mendez-Villanueva. Repeated Sprint Ability- Part II. Recommendations for Training. Sports Med 2011; 41 (9) p. 741-752
[4] François Bonnetblanc, Conflit vitesse-précision et loi de Fitts, Dans Movement & Sport Sciences 2008/1 (n° 63), pages 63 à 82.
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