L'entraînement physique du rééquilibrage footballistique
- xavierblanc

- 11 janv. 2024
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 sept.

L’être humain se distingue par sa bipédie. Dès la naissance, on teste son réflexe automatique de marche, signe du premier grand défi de notre évolution motrice : apprendre à se tenir debout, puis marcher et courir. Autrefois, cela servait à fuir les prédateurs, à chasser ou à se déplacer en nomades. Aujourd’hui, cette capacité nous permet, entre autres choses de la vie, de jouer au football.

Tous ces apprentissages reposent sur un élément fondamental : l’équilibre. Sans lui, aucune progression motrice n’est possible. Sa perte progressive annonce d’ailleurs notre déclin physique [1]. Dans le football, l’équilibre n’est pas seulement indispensable, il conditionne la qualité du déplacement et de la technique de maitrise du ballon. Être performant sur un terrain, c’est se déplacer et maitriser le ballon efficacement, avec efficience et pertinence, ce qui suppose la capacité de retrouver en permanence une stabilité posturale afin d'être en mesure d’exécuter le geste juste. Le football, par sa nature soudaine, imprévisible et déstabilisante, impose ce retour constant à l’équilibre. Heureusement, cette compétence s’entraîne, à travers un travail conjoint cognitif, qui relève des neurosciences, et physique, qui concerne le contrôle moteur. Ici, j'investigue la problématique en tant que préparateur physique footballistique (PPF) par sa dimension physique, tout en gardant à l’esprit que ces deux volets sont indissociables.
Le constat de départ est donc simple : un football de qualité oblige les joueurs à gérer sans cesse leur déséquilibre. La qualité de leur rééquilibrage détermine directement la pertinence de leurs actions et de leurs réactions face aux situations de jeu. Même immobiles, nous ne sommes jamais parfaitement stables. Notre corps oscille continuellement légèrement, et ce microdéséquilibre permanent est régulé inconsciemment par notre cerveau grâce à l’action de nos chaînes musculaires posturales. Ce mécanisme représente déjà une dépense énergétique d’environ cent calories par heure. Sur un terrain de football, cette dépense est démultipliée car chaque geste déséquilibre le joueur. Plus les mouvements sont rapides et amples, plus les perturbations augmentent, renforcées par l’irrégularité du sol, les contacts avec l’adversaire, la trajectoire incertaine du ballon ou encore l’état physiologique du joueur. Pour exprimer son talent, ce dernier doit donc d’abord maîtriser l’énergie cinétique générée par tous ces déséquilibres en se rééquilibrant, puis la canaliser afin de produire le geste attendu. Ce double processus permet non seulement de réaliser des gestes techniques précis mais aussi d’éviter les mouvements parasites qui entraînent des pertes d’énergie et de fluidité gestuelle. À ce titre, une haute compétence de rééquilibrage détermine le niveau d'expression de son talent footballistique. elle mérite donc qu'on l'entraîne pour le bonheur des joueurs.

Je propose d’entraîner cette capacité de rééquilibrage de bas en haut, selon les principes de la posturologie et de la mobilisation synergique des chaînes musculaires. Le travail commence par l’activation des appuis et des chevilles. Plutôt que d'utiliser le bosu dont les ampleurs de déséquilibre ne correspondent pas à la réalité du terrain, ce qui le disqualifie, j'utilise des exercices sur plaquette instable, effectués de préférence pieds nus pendant une trentaine de secondes ou plus. Ils visent à stimuler la réactivité articulaire des chevilles des appuis podaux face à de légers déséquilibres. Le joueur doit les résoudre sur un seul pied, tandis que l’autre peut intervenir quand la cheville ne suffit plus pour tenir en équilibre postural. Ces stimulations, effectuées dans toutes les directions selon la figure ci-dessus, sollicitent les extenseurs et fléchisseurs, quel que soit le profil du pied. Les consignes posturales sont précises : corps en extension, mains sur les hanches ou derrière la nuque, regard tourné vers l’avant, relâchement global sauf au niveau du caisson abdominal qu'il s'agit de renforcer en X. Les bras sont volontairement neutralisés pour qu’ils restent disponibles pour le jeu, sauf pour les gardiens à qui l’on demande de les utiliser dans le cadre d’exercices de coordination œil-main. Si le joueur se rééquilibre par le pied libre, celui-ci doit juste très brièvement effleurer le sol comme s'il était constitué de braises incandescentes. En cas de perte de contrôle annonçant une chute, le joueur peut néanmoins s’appuyer franchement sur le sol pour interrompre le déséquilibre.
Ce type d’exercice s’intègre à différents moments de l'entraînement : échauffements, séances spécifiques ou entraînements ciblés en cas de déficit de réactivité des appuis, de blessures ou de pertes de proprioception. On peut en augmenter la difficulté en prolongeant les déséquilibres, en ajoutant des contacts physiques ou de petites charges aux chevilles.
Une fois les chevilles activées, il faut dynamiser les appuis afin de favoriser la projection du joueur dans l’espace de jeu. L’objectif est de faciliter le passage du médio-pied vers l’avant-pied, ce qui s’entraîne par des exercices de vitesse, de déroulé des pieds ou de pliométrie. Cependant, cette dynamisation peut devenir contreproductive si elle accentue une projection du buste vers l’avant-bas. Pour éviter cela, il est nécessaire que le joueur pointe ses genoux rapidement vers l’avant et au-dessus de la ligne des articulations coxo-fémorales. Ce placement redresse mécaniquement le corps, active la chaîne musculaire postérieure et permet de canaliser l’énergie dans la direction souhaitée. Des genoux qui pointe bas accentuent le déséquilibre, alors que des genoux bien pointés dans la direction que l'on souhaite suivre favorisent fluidité et vitesse, comme en témoigne le style de jeu explosif d’un Kylian Mbappé.
L’entraînement de ce pointage de genou passe par des exercices d'école de la vitesse footballistique comme le skipping ou le talon-fesse réalisés en extension corporelle, par des exercices de musculation tels que les arrachés terminés en appui unipodal et genou pointé, ou encore par des sauts de haie dont les distances (environ 1 m de distance) obligent les joueurs à monter leurs genoux là aussi plus haut que les articulations coxo-fémorales pour franchir la difficulté. Pour être pleinement efficace, ce pointage nécessite également une bonne mobilité des fléchisseurs et extenseurs de hanche, ainsi qu’une force suffisante des muscles glutéaux. Ces qualités se développent par des étirements contracté-relâché, de la mobilité articulaire, des renforcements des psoas par étirements excentriques ou encore des squats profonds qui sollicitent en force et en équilibre la chaîne postérieure. Enfin, pour libérer la réactivité de cette chaîne postérieure, il est nécessaire d’étirer la chaîne antérieure, raccourcie par la pratique du football, par le biais du Stretching Global Actif.
Le joueur doit aussi apprendre à adapter la fréquence et l’amplitude de ses foulées pour que son équilibre postural réponde aux exigences spatiales et temporelles du jeu. Cela s’exerce par des variations de skipping où la hauteur change mais pas la fréquence, ou encore par des exercices techniques de maitrise du ballon qui cultivent la légèreté et la réactivité des appuis.
Un autre principe important est la libération des capteurs visuels. En football, les yeux doivent être disponibles pour analyser la situation de jeu, et non être absorbés par la recherche d’équilibre. C’est pourquoi je demande aux joueurs de ne pas regarder le sol, voire de fermer les yeux. On remarque d’ailleurs facilement les joueurs en difficulté posturale. Ils regardent constamment leurs pieds pour compenser leur manque d'équilibre. De la même façon, les bras ne doivent pas servir à corriger le déséquilibre mais simplement à dynamiser la gestuelle, afin de rester disponibles pour les actions spécifiques du jeu.
L’ensemble de ces principes s’applique à tous les types d’entraînement, qu’il soit isolé, orienté ou intégré. Il appartient aux entraîneurs et aux PPF de les mettre en œuvre et de les adapter pour que les joueurs puissent exploiter pleinement leur potentiel soit exprimer leur talent sur le terrain.
[1] La perte de fonctionnalité des capteurs notamment podaux cause chaque année en Suisse 1200 décès et 600'000 chutes, Yves J. Gschwind, Barbara Pfenninger, Prévention des chutes; exercices d'entraînement, BPA, 2016.
[2] En cas d'intérêt sur le contrôle neurologique de la posture, je vous invite à consulter la thèse d'Alexis Lion, Modifications des stratégies sensori-motrices de l’équilibration en fonction du type d’exercice et de perturbations de l’homéostasie, Université de Lorraine, 2018.





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