Entraîner physiquement la gestuelle footballistique par les lignes de tensions d’Anatomy Trains
- xavierblanc

- 28 oct.
- 8 min de lecture

Le modèle développé par Thomas W. Myers dans « Anatomy Trains: Myofascial Meridians for Manual and Movement Therapists » [1] propose de comprendre le mouvement humain par les fascias. Plutôt que de considérer le corps comme un assemblage de muscles isolés, Myers propose une vision intégrée fondée sur la continuité du fascia qui enveloppe, relie et transmet les forces entre les différentes structures du corps. Ce réseau forme de véritables chaînes myofasciales, ou « myofascial meridians », parcourant le corps selon des lignes de tension et de traction coordonnées.

Pour le préparateur physique footballistique (PPF), cette approche offre un cadre postural biotensègre de compréhension et de lecture des tensions des joueurs. Elle est particulièrement utile pour analyser les origines des tensions qui péjorent la production de la gestuelle footballistique. Ceci pour mieux extraire et optimiser la vitesse maximale des joueurs, prévenir et gérer leurs blessures et la récupération des efforts.
1. Le corps comme réseau continu ou le modèle de myofascialité
Myers démontre, par dissection, que le fascia agit comme un tissu de transmission mécanique, distribuant les forces plutôt que les isolant. Le corps fonctionne selon un principe d’une continuité fonctionnelle, où chaque geste footballistique mobilise non pas un muscle isolé, mais une chaîne intégrée reliant les pieds, le tronc et la tête.
Ce modèle est fondé sur le concept de biotenségrité soit « l’équilibre entre forces de tension et de compression dans une structure ». Le corps humain, comme une architecture biologique de tenségrité, répartit les contraintes de manière homogène grâce au fascia. Dans ce modèle, les chaînes myofasciales «d’Anatomy Trains » sont les câbles vivants qui maintiennent la structure et transmettent les forces. Ainsi, une restriction ou une faiblesse dans un segment du réseau (par exemple une cheville raide ou un psoas raccourci) peut perturber l’efficacité de la chaîne entière et modifier le mouvement global.
1.1. Les grandes lignes myofasciales et leurs fonctions
Myers identifie douze grandes lignes, selon l’idée métaphorique d’un réseau ferroviaire qui donne le titre de son livre, qui sont des représentations fonctionnelles des chaînes musculaires. Parmi elles, six jouent un rôle central dans la production de la gestuelle footballistique, à savoir la ligne superficielle postérieure, la ligne superficielle antérieure, la ligne latérale, la ligne spirale, la ligne profonde frontale et les lignes fonctionnelles.
1.1.1. La ligne superficielle postérieure (LSP)

Cette ligne s’étend de la plante du pied (aponévrose plantaire) jusqu’au crâne, en passant par les gastrocnémiens, les ischio-jambiers et les érecteurs du rachis. Elle régule les mouvements d’extension et la posture érigée.
Chez le footballeur, elle intervient dans la propulsion lors d’accélération, de saut ou de frappe. Une LSP trop tendue peut limiter l’amplitude d’extension, réduire la vitesse de déplacement et favoriser les blessures des ischios. Son entretien passe par la mobilité plantaire, le relâchement des ischios et l’assouplissement du dos.
1.1.2. La ligne superficielle antérieure (LSA)

Elle traverse la face antérieure du corps, des releveurs du pied jusqu’aux muscles du cou (sterno-cléido-mastoïdiens). Elle contrôle la flexion et la stabilisation antérieure du tronc.
Dans le football, la LSA est sollicitée lors des phases de décélération, de flexion avant le tir ou dans la posture basse des accélérations. Un déséquilibre entre la LSA et la LSP (expl. quadriceps dominants, ischios faibles) perturbe la mécanique du genou et peut mener à des tendinopathies rotuliennes. Il est à noter que le déséquilibre en faveur de la LSA est consubstantiel à la posture des joueurs, sachant que leurs déplacements projettent leur ceinture scapulaire vers l’avant bas.
1.1.3. La ligne latérale (LL)

Elle longe le corps latéralement, reliant les muscles fibulaires, le tenseur du fascia lata (TFL), les obliques et le muscle sterno-cléido-mastoïdien (SCM). Cette ligne stabilise le corps dans le plan frontal et régule l’équilibre latéral.
Chez le footballeur, elle intervient dans les changements de direction, la protection du ballon et la gestion des appuis asymétriques. Une LL insuffisamment mobile réduit la stabilité du bassin et peut entraîner des douleurs de hanche ou de genou latérales. Le renforcement du moyen fessier et la souplesse du tronc latéral sont dans ce cadre des priorités.
1.1.4. La ligne spirale (LS)

Cette ligne en hélice relie le grand dorsal d’un côté au grand fessier opposé via le fascia thoraco-lombaire, puis descend vers les adducteurs et les muscles tibiaux avant de remonter en spirale. Elle coordonne les mouvements de rotation et de contre-rotation du tronc, essentiels pour la coordination diagonale.
Dans le football, la LS est primordiale dans la frappe, les dribbles, les pivots et les passes croisées. Une LS bien équilibrée permet une transmission fluide des forces du pied d’appui jusqu’au membre supérieur opposé. Un déséquilibre de cette ligne se traduit souvent par des douleurs lombaires ou pubalgiques.
1.1.5. La ligne profonde frontale (LPF)

Elle relie les structures internes depuis les arches plantaires jusqu’à la base du crâne, incluant le tibial postérieur, les adducteurs profonds, le psoas et le diaphragme. Elle assure la stabilité axiale, la respiration et la coordination fine du centre du corps.
Chez le footballeur, la LPF joue un rôle majeur dans le contrôle du tronc et du bassin, garantissant la stabilité lors des mouvements explosifs et des frappes. Un psoas rigide, ou un diaphragme peu mobile, altère la fluidité du geste et la transmission d’énergie entre les membres inférieurs et supérieurs.
1.1.6. Les lignes fonctionnelles (LF)

Ces lignes diagonales relient les membres supérieurs aux membres inférieurs via le tronc. Elles permettent la coordination entre bras et jambes dans les mouvements dynamiques. Elles se subdivisent en :
- une ligne fonctionnelle antérieure connecte le grand pectoral, les obliques controlatéraux et les adducteurs
- une ligne fonctionnelle postérieure relie le grand dorsal, les obliques opposés et le grand fessier.
Pour le footballeur, ces lignes sont mobilisées dans la frappe et le tir en puissance. Le bras opposé se balance en contrepoids à la jambe de frappe, optimisant la rotation du tronc. Le travail des LF améliore la synchronisation gestuelle et la puissance globale.
2. Comprendre la production de la vitesse maximale footballistique par les lignes myofasciales
Le modèle de Thomas Myers souligne que le mouvement efficace dépend de la continuité de tension entre les lignes myofasciales. Dans un geste sportif, la force ne se limite pas à un segment. Elle se propage de manière fluide à travers les chaînes fasciales.
Dans cette idée, la production de la vitesse maximale footballistique ne se limite pas à la simple contraction de muscles isolés, mais repose sur une transmission optimale et coordonnée des forces à travers les chaînes myofasciales. En effet, selon le modèle développé par Thomas Myers, chaque geste sportif résulte d’une propagation fluide de l’énergie le long de lignes de tension connectées, où la force générée dans un segment est amplifiée et redirigée vers les autres parties du corps. Cette vision systémique permet de comprendre pourquoi un footballeur ne se déplace pas seulement avec ses jambes, mais avec l’ensemble de son corps, organisé en un réseau fascial intelligent et réactif. Par exemple, la frappe d’un ballon implique un enchaînement séquentiel précis. 1. appui plantaire 2. activation du mollet 3. extension de la hanche 4. rotation du tronc 5. coordination bras opposé. Tout déficit dans cette continuité altère la fluidité du geste et augmente la dépense énergétique.
Lors d’un sprint ou d’une accélération, la séquence de transmission des forces suit un enchaînement précis, impliquant plusieurs chaînes myofasciales en synergie. Tout commence par l’appui plantaire. L’aponévrose plantaire, élément clé de la LSP, agit comme un ressort naturel, stockant et restituant l’énergie élastique à chaque pas. Cette énergie est ensuite transmise aux gastrocnémiens et aux ischio-jambiers, qui prolongent l’extension de la jambe et propulseront le corps vers l’avant. Cependant, la force ne s’arrête pas là. Elle se propage le long de la LSP jusqu’aux érecteurs du rachis, assurant une posture érigée et une transmission efficace vers le tronc.
C’est ici que la LSA entre en jeu, en équilibrant la force de propulsion par une action de flexion contrôlée et une stabilisation du bassin. Les quadriceps et le psoas (intégré à la LPF) permettent la récupération rapide de la jambe après l’appui, préparant le cycle suivant. Mais la vitesse ne dépend pas seulement de l’extension et de la flexion. Elle est aussi le fruit de la rotation et de la contre-rotation du tronc, coordonnées par la LS. Cette chaîne en hélice relie le grand dorsal d’un côté au grand fessier opposé, permettant une transmission diagonale des forces essentielle pour allonger la foulée et maximiser la propulsion. Ainsi, chaque pas est accompagné d’un mouvement de torsion du buste, qui amplifie la puissance générée par les membres inférieurs.
La stabilité latérale, assurée par la LL, joue également un rôle crucial. En stabilisant le bassin et le tronc dans le plan frontal, elle limite les pertes d’énergie latérales et permet au footballeur de maintenir une trajectoire rectiligne, même à haute vitesse. Enfin, les LF relient les membres supérieurs aux membres inférieurs, synchronisant le balancement des bras avec le mouvement des jambes. Ce contrepoids naturel optimise la rotation du tronc et contribue à l’équilibre global, réduisant ainsi la dépense énergétique et améliorant l’efficacité du geste.
L’équilibre entre ces lignes de tensions est déterminant. Une restriction dans l’une d’elles, par exemple, une raideur de la cheville limitant la mobilité de la LPS, ou un psoas raccourci perturbant la LPF, peut rompre la continuité de la transmission des forces. Le résultat ? Une foulée moins efficace, une vitesse réduite et un risque accru de blessure.
3. Enseignements pour l’entraînement physique footballistique
Pour résumer, la vitesse footballistique est le produit d’une transmission harmonieuse des forces à travers un corps conçu comme un système de tensions interconnectées. Comprendre et optimiser cette dynamique fasciale permet non seulement d’améliorer la performance, mais aussi de prévenir les blessures en évitant les déséquilibres structurels. Le footballeur performant n’est donc pas celui qui muscle ses jambes de manière isolée, mais celui qui cultive la cohérence et la fluidité de son réseau myofascial, transformant chaque geste en une chaîne de mouvement efficace et économique.
Cette approche myofasciale impose de lire le corps dans son ensemble plutôt que de se concentrer sur le site douloureux. Un désalignement ou une restriction dans une ligne donnée peut être le facteur primaire d’une douleur à distance (par ex. tension plantaire affectant la chaîne postérieure jusqu’au dos).
Pour le PPF, cette approche complète la biomécanique classique en intégrant la dimension « tissulaire, posturale et systémique du mouvement ». Elle nous apprend ainsi que la segmentation de la musculation en haut et bas du corps qui a cours dans de nombreux clubs, même les plus prestigieux n’a pas lieu d’être.
En cas de douleur ou de blessure, la thérapie doit viser la « chaîne fonctionnelle » plutôt que le muscle isolé. Ainsi, dans une blessure ischio-jambière, traiter uniquement la cuisse est incomplet. Il faut restaurer la mobilité du pied, du fascia thoraco-lombaire et du tronc pour rétablir la continuité de la LSP.
Dans cette perspective, le modèle des « Anatomy Trains » n’est pas un dogme anatomique, mais un cadre fonctionnel cohérent. Il est vrai que certaines causalités sont encore en cours de validation scientifique, mais les principes de continuité fasciale, de transmission mécanique et de globalité motrice trouvent un appui empirique solide en clinique et en préparation physique.
Pour conclure et en synthèse, le joueur performant n’est pas celui qui renforce un muscle, mais celui qui entretient la fluidité et la cohérence du réseau fascial, garantissant la transmission efficace des forces, la stabilité dynamique et la prévention des blessures. L’application du modèle « Anatomy Trains » permet ainsi d’élever l’entraînement à un niveau plus global, où le corps est perçu non comme un assemblage de pièces, mais comme un système biotensègre intelligent de tensions connectées.
En synthèse, cela signifie qu’un entraînement physique footballistique fonctionnel devrait stimuler la coordination inter-chaînes en :
- combinant propulsion, rotation et stabilité dans un même exercice (ex. sprint + pivot + frappe)
- renforçant la synergie glute-obliques-adducteurs pour les actions de changement de direction
[1] Thomas W. Myers dans « Anatomy Trains: Myofascial Meridians for Manual and Movement Therapists », Edition Elsevier, 2020.





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