La sobriété... un critère de qualité de la préparation physique footballistique !
- xavierblanc
- 14 févr. 2023
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 6 jours

Nécessité énergétique faisant loi, le vocable « sobriété » apparaît avec insistance dans notre société. Mais cette sobriété, c’est-à-dire faire, avoir et être tout aussi bien, voire mieux avec l'équivalent ou moins, dépasse la problématique énergétique. Elle devient une tendance lourde de notre évolution sociale occidentale, comme l'expriment Frédéric Lenoir et Matthieu Quidu.

Dans son livre paru en novembre 2022 [1], Frédéric Lenoir nous explique à travers son concept de Sobriété heureuse le fait qu’«un nombre croissant d'individus cherchent à sortir de la logique du toujours plus impulsée par notre stratium et entretenue par la société de consommation. Certains le font à travers la poursuite d'une pratique religieuse stricte... mais la plupart cherchent à limiter ou réguler leurs désirs dans une perspective laïque, à travers des choix de vie plus sobres, un désir d'allègement et de partage, ou encore une meilleure maîtrise de leur corps et de leur esprit». De son côté, Matthieu Quidu [2] aborde cette sobriété dans le monde des pratiques sportives. Il nous explique, selon une analyse du discours, que la tendance au minimalisme sportif exprime un retour à l'essentiel, qui coïncide avec une «redécouverte du «naturel», qu’il s’agisse de la «nature primale» de l’homme ou de l’environnement naturel».
Si fondamentale qu’elle soit, il semble que cette tendance à la sobriété ne concerne absolument pas la préparation physique footballistique. Pourtant, on peut amener un footballeur aux standards physiques du plus haut niveau professionnel sans aucun instrument ou matériel dédié autres que son corps. Ce paradoxe mérite d'être discuté pour comprendre pourquoi et en quoi le toujours plus parait être la règle dans la préparation physique footballistique.
La portée et l'enjeu de cette discussion ne sont pas superfétatoires. En effet, si on assimile la sobriété à l'efficience, faire tout autant, ou plus avec moins, le « toujours plus » revient à diminuer le niveau de performativité de son entraînement physique footballistique. Entraîner par sobriété, c’est rendre la préparation physique footballistique accessible à tous les clubs en la débarrassant d'artifices inutiles. C'est potentiellement la nettoyer de pratiques qui ne lui appartiennent pas, ce qui la dévoie. C'est la démocratiser en brisant l'idée que c’est désormais des logiciels réservés à une élite qui la détermine alors qu’ils ne servent presque à rien, sauf pour le plus haut des niveaux.
Pour éclaircir encore plus le contexte, le football reste encore aujourd'hui, sur le plan physique, un sport mineur. En effet, à son plus haut niveau d'expression, il est physiquement comparable à un niveau athlétique régional. Pour rappel, un joueur professionnel parcourt environ 11 à 12 kilomètres en 95 minutes de match, ce qui équivaut à une activité de marche soutenue à une vitesse de 6 à 7 km/h. Mais, il est important de ne pas se méprendre sur cette brutale affirmation. Elle ne sous-entend pas que le football est physiquement facile. Au contraire, le football est très exigeant sur le plan énergétique. Il demande de (re)partir incessamment, avec constance et densité le plus rapidement possible dans l'espace de jeu plus de 1200 fois par match, d'animer le jeu en donnant vie inlassablement au ballon dont la nature est de s'arrêter, qu'il étrique les corps et par là qu'il dégrade la posture des joueurs, que c'est un sport de contacts qui blesse et affaiblit, que les changements de ses surfaces de jeu impactent grandement l'intégrité physique des joueurs, qu'il est très coûteux psycho-émotionnellement sachant qu'il y a de plus en plus de matchs au calendrier ce qui limite la récupération, voire la régénération, des joueurs et donc péjore leur alacrité [3], que le trading joueur et de la pression du résultat génèrent des managements erratiques et précipités, ce qui ballote les joueurs de clubs en clubs. Le tout réduit considérablement les temps des développements physiques, qualitatif et quantitatif des joueurs.
Dans ce cadre, la seule voie qui me semble appropriée pour le PPF est de rechercher la plus grande efficience, ou sobriété d'intervention, dans le contenu et les méthodes d'entraînement pour optimiser chaque moment disponible. Pourtant, on observe tout le contraire... Pourquoi ?
Le premier facteur explicatif qui me vient à l'esprit est l'incertitude bienheureuse du résultat sportif. Cette incertitude est bienheureuse dans le sens où elle fait tout le charme du football, aux côtés du beau jeu, car ce n'est pas toujours le club le plus financièrement doté qui remporte systématiquement la victoire. Pour réduire cette incertitude, les clubs travaillent de plus en plus les moindres détails pour trouver le pourcentage d'amélioration qui fera la différence à chaque match. Comme le football couvre un large éventail de domaines, cela stimule la création et l'acquisition de nouvelles méthodes et moyens d'intervention, supposées permettre aux PPFs de mieux maîtriser leur savoir-faire-faire.
Dans notre mentalité occidentale, le principe NO PAIN NO GAIN imprègne fortement la manière dont nous pratiquons le sport. Cette philosophie peut expliquer en partie le succès de participation aux marathons et aux ultra trails qui donnent l’occasion de se sentir vivre par débauche d’énergie. Cette vision de l'effort symbolise une société qui en veut toujours plus en consommant plus en plus. Plus certainement encore, cela dénote un problème d'insécurité et d’estime de soi. Pour s’assurer le succès et en cas d’insécurité sur son savoir faire-faire, la croyance est alors d'en faire toujours plus, ou plus que l'adversaire. Même en cas de défaite, cette approche est « gagnante » puisque que l'on aura tout fait a priori pour gagner, ce qui nous dédouane d’une performance insatisfaisante à nos yeux, à ceux de nos dirigeants, de nos supporters et des médias.
Le manque de la ressource Temps dans le football peut expliquer une spécialisation excessive des compétences. Les clubs cherchent à optimiser les temps limités d’entraînement en investissant dans les meilleurs experts, équipements, méthodes et exercices. Cependant, cette spécialisation nécessite une claire définition des objectifs à atteindre et qu’elle est la place de chacun. Sans un cadre d'intervention bien défini, le risque est d'engager des spécialistes sans cohérence, ce qui peut entraîner des redondances et des effets d'entraînement qui se contredisent ou s'annulent mutuellement.
Cette spécialisation de l’entraînement footballistique représente un marché économique en pleine croissance, car stimulé par les innovations des éditeurs de logiciels, des formateurs et des fabricants d'équipements. Cette croissance profite en fait de l’irrationnalité, l’ignorance ou la naïveté de consommateurs qui achètent des produits ou des compétences complètement superflus, mais dont les caractéristiques « nouvelles ou inédites » convainquent à offrir un avantage concurrentiel et amener à la victoire. SI cela était si simple !
Alors que nous sommes plus que jamais interconnectés, nos relations sont de plus en plus intermédiées. Allons-nous prochainement vivre notre football dans le Métavers, par le biais d'une extension FIFA football ? L'avenir nous le dira ! Ces quelques mots pour souligner que le football a plongé avec gourmandise par les datas dans le monde digital. Il est certain que très bientôt, les logiciels d'aide à la décision seront remplacés par des logiciels d'intelligence artificielle capables de prendre des décisions à la place des entraîneurs. Pourtant, cette prédiction n’est pas certaine, car le football n'est de loin pas une simple une affaire de chiffres, de données et d'algorithmes... C'est un jeu créatif où les gestes et les mouvements sont imprévisibles. Les meilleurs entraîneurs que je connais ne sont pas des informaticiens ou des statisticiens. Ce sont ceux qui sentent le football de tout leur être sans l’aide des datas. Leur force réside dans leur capacité à vivre pleinement le jeu et à transmettre leur passion ainsi que leurs émotions à leurs joueurs.
Il est en de même avec les PPFs qui sont avant tout des artisans forts de leurs manières de faire-faire et de leur ressenti. Pour appuyer ce propos, voici les mots de l'éminent entraîneur Jean-François Pahud [4] « On découvre des signes extérieurs dans la foulée d’un coureur, dans son regard, sa transpiration, son teint, le tremblement de ses membres, le pincement de ses narines, l’aspect de sa peau. Ces signes ne trompent pas et, pour moi, ils sont beaucoup plus importants que le nombre de pulsations/minute, le degré d’acide lactique dans le sang, la VO2max ou le résultat d’une biopsie musculaire. Autant d’éléments que je n’ignore pas, mais qui passent bien après ce que je « ressens » personnellement et bien après mes relations directes avec l’athlète ». Dans ce contexte, le seul avantage que je vois au développement informatique effréné du football n'est pas physique, mais managérial. Cela permet d'objectiver l'effort et donc de maitriser et/ou contrôler l'implication des joueurs.
Pour conclure cette discussion de la sobriété, je rêve d'interventions PPF dépouillées de tout superflu technologique et autre appareillage. Cela serait le signe que les PPFs reviennent à l’essence de leur métier en se faisant confiance et en se reposant sur leurs véritables outils ; leurs propres savoir-être et faire.
[1] Plus particulièrement dans son chapitre sur La sobriété heureuse p. 121-132 in Frédéric Lenoir, Le désir, une philosophie, Editeur Flammarion, 2022.
[2] Matthieu Quidu, Sobriétés sportives choisies, à lire sur https://aoc.media/analyse/2023/01/23/sobrietes-sportives-choisies/ Page consultée le 20.09.2023.
[3] Au moment de l'écriture de ce chapitre, Raphaël Varane annonce son retrait de l'équipe de France alors qu'il a seulement 29ans. Il évoque une surcharge pour expliquer sa décision d'arrêt avec cette phrase qui résume tout notre propos « Le joueur était en train de bouffer l'homme ».
[4] Article d’Yves Jeannotat (à qui je rends ici hommage pour tout ce qu’il a fait pour le sport), Jean-François Pahud et l’entraînement par la "patiendurance". in Revue Spiridon n° 55, avril-mai 1981. Jean-François Pahud a entraîné Pierre Delèze dont le record de 3mn31s75 centièmes sur 1500 m en 1985 au Weltklasse de Zurich reste, encore aujourd’hui et malgré les nouvelles chaussures en carbone, un résultat de très grande valeur mondiale.
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