Désactiver « la précipitationnite » en prenant le temps d’aller vite
- xavierblanc

- 19 nov.
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Ce post poursuit la réflexion de celui qui a pour titre « La précipitationnite, un tue-l’amour de la vitesse footballistique ». Il vise à comprendre comment désactiver pratiquement « cette précipitationnite ». Cela suppose d’abord de distinguer vitesse et urgence, deux notions souvent confondues sportivement. Les injonctions et/ou les invitations de l’animation du jeu à (ré)agir le plus rapidement possible séquentiellement conduisent fréquemment les joueurs à adopter une motricité réactive brouillonne, abrupte, contractée et écourtée, en rupture avec la dynamique naturelle d’extension des gestes.

Ce phénomène, que je qualifie de « précipitationnite », s’observe lorsqu’un joueur ne se donne pas le temps de construire l’amplitude gestuelle nécessaire à une organisation technique optimale d’un mouvement. En effet, des contractions prématurées et des « brisures segmentaires » perturbent la fluidité gestuelle en minorant les enchaînements ainsi que les superpositions de force. À ce titre, lorsqu’un mouvement est interrompu avant sa pleine extension, le joueur péjore sa coordination motrice, laquelle repose sur la continuité gestuelle, son économie énergétique et l’articulation harmonieuse de ses segments corporels.
Prendre le temps d’aller vite, ou l’extension, comme condition nécessaire de production de la vitesse maximale
Dans cette perspective, « prendre le temps d’aller vite » ne renvoie pas à un ralentissement, mais à une organisation motrice permettant aux segments de se déployer dans une extension fonctionnelle de la gestuelle footballistique. Ce principe rejoint les travaux de la biomécanique selon lesquels la disponibilité articulaire et la séquence d’extension segmentaire déterminent la capacité d’un système musculo-squelettique à générer une accélération optimale [1]. Amplifier les segments corporels n’implique pas de produire des gestes surdimensionnés, mais de laisser au corps l’espace-temps nécessaire pour établir une continuité interne. Plus un segment corporel, soit un bras, une jambe ou le tronc, dispose de temps d’extension, plus il peut produire une accélération interne progressive, comme l’ont démontré les modèles de cycle étirement–raccourcissement [2]. De ce fait, le niveau de vitesse observable dépend directement de la durée et de la qualité technique de ce moment d’accélération.
Extension, accélération et niveau de vitesse maximale entretiennent une causalité biomécanique directe
Le lien entre extension, temps d’accélération et niveau de vitesse maximale s’appuie sur un principe mécanique fondamental. La vitesse est « le résultat d’une accélération appliquée sur un intervalle temporel donné ». En ne s’amplifiant pas assez longtemps, le joueur réduit cet intervalle, ce qui limite mécaniquement le niveau de sa vitesse maximale. Les recherches sur la cinématique des gestes sportifs montrent que les mouvements trop abrégés ne permettent pas à la chaîne cinétique d’atteindre son plein potentiel propulsif [3]. La difficulté ne réside pas dans l’abrègement en soi, car certaines situations de jeu l’exigent, mais dans l’interruption de la continuité gestuelle. Un geste compact peut être efficace, à condition que l’onde d’extension ne soit jamais cassée. C’est précisément ce que donnent à voir les meilleurs joueurs, qui, en condensant ou en étendant leur amplitude tout en maintenant une propagation continue de leur énergie segmentaire, produisent des gestes amples qui s’enchaînent de façon continue harmonieusement conformément aux théories de l’optimisation de la coordination [4]. Cela leur donne parfois une impression visuelle de lenteur et/ou de nonchalance alors que leurs gestuelles sont distinctement et objectivement tout aussi rapides que celles des autres, à l’exemple des faux lents Toni Kross et Zinédine Zidane.
L’extension comme condition préalable à la projection et à la prise d’espace
Ce focus sur l’amplitude gestuelle par intention d’extension améliore également la capacité de projection et de prise d’espace. Les modèles biomécaniques de déplacement rapide démontrent que l’efficacité de la propulsion dépend de la cohérence entre extension segmentaire, alignement postural et transfert d’énergie. Une extension bien conduite prépare mécaniquement des appuis podaux moins déséquilibrés, évite une surcharge sur les quadriceps et donc une inflammation des tendons rotuliens, un angle de propulsion plus précis, soit qui va dans la direction désirée, et une transmission de forces plus homogène entre le tronc et les membres inférieurs.
Les jambes peuvent ainsi suivre des pointages de genoux, en conservant des extensions ininterrompues. Le tronc maintient une rigidité-flexibilité, ou une biotenségrité, fonctionnelle, pour autant qu’il soit renforcé en X, ce qui permet de transmettre les forces sans déperdition énergétique. Les bras stabilisent le centre de masse tout en contribuant à dynamiser les mouvements. Ainsi, la prise d’espace ne dépend pas seulement de la vitesse initiale, mais de la capacité d’un corps à s’organiser et à se mobiliser sans rupture dans une projection. Cette dynamique est cohérente avec les analyses actuelles des accélérations courtes, selon lesquelles l’optimisation technique qualitative du geste détermine davantage la performance que la seule intensité musculaire [5].
La « précipitationnite » comme réaction émotionnelle perturbant la coordination
À l’inverse, « la précipitationnite » apparaît lorsque l’abrègement du mouvement n’est plus une adaptation au jeu, mais une réaction émotionnelle liée à une urgence, ici à comprendre comme une menace, perçue comme telle. Les neurosciences du mouvement ont montré que l’excès d’activation émotionnelle, dû parfois à la résurgence de réflexes archaïques non inhibés [6], perturbe les programmes moteurs par suractivation du système nerveux sympathique, augmente les co-contractions musculaires inutiles et réduit la capacité à anticiper la trajectoire du geste [7]. Lorsqu’un joueur agit sans intention claire, ses gestes se contractent avant d’avoir été préparés, ce qui augmente le niveau du « slack musculaire », brisant l’extension et supprimant la possibilité d’atteindre une accélération optimale. Le résultat est une vitesse apparente par sa surfréquence, mais peu fonctionnelle, une prise d’espace limitée et une dépense énergétique accrue, soit autant d’effets négatifs sur la performance [8].
Entraîner la continuité du geste par l’extension construit la production de la vitesse footballistique
« Prendre le temps d’aller vite » implique alors un mouvement continu, centré sur l’intention gestuelle, la régulation énergétique et la conservation qualitative du flux gestuel. Les théories de l’apprentissage moteur soulignent que la construction d’une trajectoire interne cohérente précède même la maîtrise de la vitesse [9]. Les joueurs apprennent, par des écoles de vitesse footballistique à l’exemple de celle de Vitruve-Football, à abréger un geste sans l’interrompre, à compacter l’amplitude sans sacrifier l’extension et à maintenir une continuité segmentaire même dans les contraintes temporelles les plus fortes. C’est cette continuité qui permet à la vitesse de surgir, de s’amplifier et de se transmettre jusqu’à la projection corporelle dans l’espace de jeu.
La patience motrice et relâchement confiant comme contenus d’apprentissage de l’amplitude motrice
Désactiver la « précipitationnite » suppose également un travail spécifique sur deux contenus d’apprentissage fondamentaux que sont la patience motrice et le relâchement, compris non comme une passivité, mais comme un lâcher prise actif fondé sur la confiance dans les capacités corporelles. L’amplitude n’est pas seulement une affaire de biomécanique. Elle est aussi une mentalité, une disponibilité attentionnelle et tonique qui conditionne la possibilité d’étendre un geste jusqu’à son plein développement.
La patience motrice consiste à accepter l’idée que la vitesse ne peut advenir qu’à travers un certain délai volontairement assumé. Elle implique de tolérer un micro-espace-temps où le corps organise ses segments, régule sa tonicité, oriente ses intentions et prépare la propagation interne du geste. Cette patience n’est pas un ralentissement, mais un non-raccourcissement prématuré. Elle constitue la compétence proprioceptive qui permet de sentir si le geste est prêt à s’étendre, et donc à accélérer. Apprendre la patience, c’est apprendre à laisser à son corps l’opportunité de se mettre en ordre, de se disposer pour produire une accélération lisible, continue et efficiente.
Le deuxième contenu, le relâchement, renvoie au fait de laisser les segments corporels se libérer de tensions inutiles et de co-contractions réflexes afin d’autoriser l’extension. Relâcher ne signifie pas diminuer la force, mais optimiser la distribution tonique pour permettre au geste d’exister dans sa continuité. Ce relâchement suppose un lâcher prise mental vis-à-vis de la peur de mal faire, ou plutôt d’avoir peur d’avoir peur de mal faire, ou de la volonté de tout contrôler. Lorsque le joueur tente de « maîtriser son geste en le tenant », il le rigidifie. Lorsqu’il accepte de faire confiance, ou qu’il se fie à, dans ses capacités corporelles, les coordinations naturelles peuvent apparaître, révélant une amplitude plus fluide, plus stable et plus ancrée.
La combinaison entre patience motrice et relâchement confiant crée une forme de disponibilité gestuelle qui rend possible l’extension. Le joueur perçoit mieux les appuis, le centrage du tronc, la qualité du ressort élastique, et surtout le moment opportun pour déployer la montée de sa puissance musculaire, autrement dit à son explosivité. Ce sont ces états psycho-corporels qui permettent de « prendre le temps d’aller vite ». Ils désactivent la « précipitationnite » en transformant l’urgence perçue en intention contrôlée. L’amplitude devient alors un produit de la qualité de présence du joueur à son geste, et non un simple paramètre mécanique. En s’entraînant à développer par l’extension cette patience incarnée et ce relâchement volontaire, les joueurs découvrent que la vitesse n’est pas le fruit d’une « forcite », mais d’une construction calme, pleinement ressentie, où le corps se donne l’autorisation de s’exprimer entièrement avec facilité et élégance.
En synthèse
Désactiver « la précipitationnite » ne consiste pas à freiner le joueur, mais à réhabiliter la logique profonde d’existence du geste. Un mouvement ne devient rapide qu’à condition qu’on lui donne le temps et l’espace de s’établir. La vitesse véritable n’est pas celle que l’on exige, mais celle que l’on construit et que l’on vit par les sensations de l’extension qui donne la continuité gestuelle. Elle offre au corps le temps nécessaire pour accélérer, la capacité de se projeter pleinement et la possibilité d’atteindre une vitesse désirée réellement optimale. La performance physique footballistique ne s’obtient pas en allant « plus vite que ses gestes », mais en permettant à ces gestes d’aller jusqu’au bout d’eux-mêmes pour exprimer le talent footballistique du joueur.
Bibliographie
[1] P. McGinnis, Biomechanics of Sport and Exercise (3rd ed.). Human Kinetics. 2013. R. Enoka, Neuromechanics of Human Movement (5th ed.). Human Kinetics. 2015.
[2] P. V. Komi, Stretch-shortening cycle: A powerful model for performance enhancement. Journal of Biomechanics, 33(10), 1197–1206. 2000.
[3] C. A. Putnam, C. A. Sequential motions of body segments in striking and throwing skills: Descriptions and explanations. Journal of Biomechanics, 26(S1), 125–135. 1993. A. Lees, T. Asai, T. Andersen, H. Nunome, T. Sterzing, The biomechanics of kicking in soccer. Sports Biomechanics, 9(3), 197–217. 2010.
[4] R. Schmidt, T. Lee, Motor Learning and Performance (6th ed.). Human Kinetics. 2019.
[5] K. P Clark, P.G. Weyand, P. G., Are running speeds maximized with simple-spring stance mechanics? Journal of Applied Physiology, 117(1), 33–45. 2014.
[6] J. Bastière, Influence des réflexes primitifs sur les blessures, les performances athlétiques et technico-tactiques des footballeurs, thèse de doctorat, Besançon, Université Marie et Louis Pasteur, 2025.
[7] K. Yarrow, P. Brown, J.W. Krakauer, J. W. Inside the brain of an elite athlete: Reflections on motor learning and performance. Nature Reviews Neuroscience, 10(9), 698–708. 2009.
[8] A. Nieuwenhuys, R.R.D. Oudejans, Anxiety and Perceptual-Motor Performance: Toward an Integrated Model of Concepts, Mechanisms, and Processes. Psychological Research, 76, 747-759. 2012.
[9] A. M. Gentile, Skill acquisition: Action, movement, and neuromotor processes. In J. Carr & R. Shepherd (Eds.), Movement Science (2nd ed.). 2000.





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