L'entraînement de la sensation de la vitesse footballistique
- xavierblanc

- 3 nov. 2023
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 sept.

Le football résout « la problématique » de la vitesse en ne sélectionnant que les plus rapides. Cela laisse sur les bas-côtés des terrains un nombre considérable de talents. Ce faisant, le football se trompe fondamentalement sur l'évaluation, la perception et la compréhension de son niveau actuel de vitesse. Ainsi, les joueurs de Champions League sont d’un niveau athlétique régional, voire local.

En conséquence, il suffit qu'un joueur normal, c'est-à-dire sans qualité de vitesse qui le particularise ou le différencie, bénéficie d'un entraînement de vitesse footballistique en tant que tel pour que son niveau de vitesse s'élève considérablement. À tel point que cette vitesse peut même devenir un atout pour accéder au firmament footballistique. Fort heureusement, mais progressivement, le football prend conscience de ce potentiel inexploité, comme le prouve le projet Power to Win de l’Association suisse de football. Dans ce contexte, cette discussion a pour objectif d'identifier les points d'amélioration de cette vitesse maximale footballistique par le biais de son entraînement sensoriel.
En respect du principe que l’on entraîne la vitesse par la vitesse, cet entraînement consiste à stimuler tautologiquement la vitesse maximale du joueur en répétant simplement des petites distances à vitesse maximale. Pour ce faire, le joueur doit mobiliser 100% de ses capacités de vitesse. Malgré son intérêt et sa simplicité, ce type d’entraînement est très rarement proposé sur les terrains. Pire encore, on cherche prioritairement à dynamiser la vitesse maximale par la force. Que ce soit techniquement en insistant à tort sur la poussée des foulées, ou musculairement par le recours au développement mal approprié de la tension musculaire de contraction. Outre la force, il arrive aussi trop souvent que la vitesse maximale soit entraînée par High Intensity Interval Train (HIIT), ce qui ne l’entraîne pas puisque les stimuli ne sont pas assez intensifs. Ceci posé, il me revient d'aborder en quoi consiste l'extraction de cette vitesse maximale intrinsèque par elle-même.
L'enjeu et l'objet de cette extraction sont d’étendre spatialement et temporellement le recrutement des fibres musculaires des joueurs. Ceci, quel que soit le type de fibre musculaire, puisque même les fibres ST (Slow Twitch), dites rouges ou lentes, participent à la production de la vitesse maximale des joueurs. Cette extension a pour objectif premier de réduire « leur réserve autonome de protection ».
Par économie de notre énergie, ou plus simplement par instinct de survie, notre cerveau limite l'utilisation de notre force de contraction musculaire à 75% de nos capacités [1]. Pour s'en convaincre, il suffit de se remémorer des exploits physiques de personnes lambdas, qui pour sauver leur vie ou celle de leur pair, puisent dans des ressources musculaires insoupçonnées.
Outre cette réserve autonome de protection, un grand et rapide recrutement des fibres musculaires est entravé par des limitations articulo-musculaires, des déséquilibres musculaires ainsi que par un bas niveau de « coordination générale vitesse ». Le tout cumulé m’incite à affirmer que les joueurs utilisent en moyenne seulement 60% de leur vitesse maximale intrinsèque. Concrètement, sur le terrain, cela signifie que si un joueur arrive à mobiliser 20% de ses fibres musculaires en plus, il gagne, ou déplace positivement sa limite de vitesse, au minimum 1m par tranche de 5m d'accélération. Ce gain de distance suffit à faire systématiquement, soit à l'occasion de toutes les configurations de déplacement, la différence lors d'un match. Sans compter que le joueur est plus prompt à gérer les situations incertaines du jeu, donc à mieux peser sur ce dernier. Pour découvrir sa vitesse maximale intrinsèque, il s’agit de l’entraîner par les sensations qu’elle procure, en se connectant avec celles-ci en stimulant son système proprioceptif et ses capteurs posturaux.
Si on appréhende la vitesse maximale footballistique comme un mouvement, alors elle peut s'assimiler, à l'instar de ce que propose Alain Berthoz [2], à une sensation corporelle. Son entraînement demande donc de la ressentir pour la vivre, la comprendre, en saisir les subtilités et ainsi l'exécuter au mieux. Cela implique que le joueur soit connecté avec son corps. Outre les blocages émotionnels et le distress ambiant qui nous tendent, et ainsi nous tordent, notre société numérique rend la chose de moins en moins évidente. En captant de plus en plus nos cerveaux par addiction attentionnelle [3], cela nous décorpore en nous éloignant de nos sensations. L'envahissement du virtuel dans nos vies est tellement saisissant qu'il nous rend, entre autres choses, de plus en plus décoordonnés, ou gauche dirait les anciens, sédentaires puisque nos mobiles, qui pour certains à l’image de l’écrivain Sylvain Tesson sont en fait des bracelets électroniques, nous rendent immobiles, et finalement obèses comme le relève les études épidémiologiques. Cette société numérique a même le pouvoir, en quelques années, de nous marquer morphologiquement en nous déformant physiquement par enroulement de nos épaules vers l'avant-bas, soit là où se trouvent nos écrans digitaux [4]. Si j’évoque cette conséquence morphologique, c'est qu'elle renforce la même projection avant-bas des épaules que le football provoque et qui génère de l'étriquement corporel chez le joueur. Sans compter que cet envahissement numérique nous appauvrit cognitivement à tel point qu’il est aujourd’hui considéré comme un danger pour nos enfants [5].
Dans ce contexte sociétal, l'entraînement de la sensation de la vitesse maximale propose de prendre conscience de la finesse et de la subtilité de ses mouvements, de la légèreté et de la réactivité de ses appuis podaux, ainsi que la facilité à la produire lorsqu’elle est effectuée en toute fluidité, décontraction et sans tensions corporelles. Cela revient à comprendre que produire de la vitesse maximale équivaut à produire de l'élégance gestuelle.
Cela implique également de percevoir, voire de sentir par caresse, l'air glisser plus rapidement sur son corps, signe que celui-ci s'aiguise en devenant plus perceptif [6]. Si vous êtes en mesure de le ressentir, alors cela signifie que vous êtes dans votre vitesse maximale. Cela suppose que le joueur soit à l'écoute de son corps en cultivant ses sensations et lui fasse confiance dans sa capacité à produire de la vitesse maximale. Cette confiance s’exprime par «lâcher prise» dont la condition d'existence est de se relâcher. Ceci afin de pouvoir paradoxalement contracter ses fibres musculaires le plus rapidement et fortement possibles [7].
Ce relâchement est conditionné par l'absence de blocages énergétiques et/ou émotionnels qui se traduisent par des tensions musculaires malvenues. Si celles-ci sont chroniques, elles nécessitent l'intervention de mesures spécifiques telles que des séances isolées de mobilité et d'étirement que je mène pour ma part selon les principes du Stretching Global Actif, de la méthode contracté/relâchée et de l'abrasion des fascias par Fat-Tool. Pour résoudre les blocages aigus surgissant dans l'action, ce relâchement consiste à laisser venir, ou accueillir, sa vitesse maximale sans chercher à la contrôler. Notamment parce qu'un « contrôle moteur mentalisé » ralenti de fait l'immédiateté gestuelle que la vitesse exige pour être maximale [8]. Ainsi, ce relâchement vise à combattre l'idée contreproductive de forcer son corps à aller plus vite qu'il ne le peut, car cela va inévitablement le crisper, donc le ralentir. Si ce « forçage » s'engramme neuromusculairement, il peut même générer le phénomène dit « de la barrière de vitesse », bien connu des sprinters. Ce recours à la force trouve son origine dans la sensation supposée, ou réelle, d'une faiblesse musculaire ressentie ou l'impression que l'on peut se déplacer plus vite sans savoir/pouvoir le faire. Si ces problématiques existent, alors la réponse de l'entraînement de la sensation de la vitesse maximale est de les accepter, ou de les laisser physiquement exister, afin justement d'être en capacité d'en prendre conscience pour les circonscrire.
Suite à ce travail d'éveil, d'accueil et de conscientisation sensorielle, le joueur va de lui-même cultiver des appuis podaux francs, secs et tranchants. Ce chemin d’apprentissage s'apparente à celui du danseur qui dépasse, ou se libère de, la difficulté physique de la tâche par sa technique pour exprimer son talent par l'ensemble de ses sens. Dans ce cadre, si certains joueurs se déplacent plus rapidement en jouant que lors des séances spécifiques de vitesse maximale, c'est parce qu'ils oublient, pris par le jeu, de faire appel à leur force pour se déplacer. Ils sont directement connectés à leur vitesse maximale en la vivant sans intermédiaire, c'est-à-dire sans la mentaliser et/ou essayer de la maitriser. En quelque sorte, ils incarnent leur vitesse maximale parce que celle-ci d'objet... est devenue sujet. Ils font et sont en même temps leur vitesse maximale footballistique. Pour savoir si le joueur est tout à la fois dans le bon mouvement et dans le bon état d'esprit, bref le bon mood, pour vivre sa vitesse maximale, son entraîneur doit à son tour l'écouter émotionnellement activement. Si la vitesse gestuelle du joueur lui saisit les tripes, alors c'est le signe que sa vitesse maximale commence à s'exprimer pleinement et entièrement. Cette affirmation peut paraître hors de propos. Pas tant que cela, si on l'assimile à la même émotion qui saisit et fait lever ainsi qu’applaudir les foules lors d'une exécution ballon ou d'un mouvement collectif de qualité.
Tout en s'inscrivant dans les principes techniques de mon école de la vitesse footballistique ainsi que dans la création d'un point de fixation des tensions musculaires au bassin, entraîner la sensation de vitesse maximale consiste tout à la fois concrètement pour le joueur à :
- apprécier, par attention et écoute, ses sensations corporelles que provoque la vitesse
- être prêt à l'emploi, c'est-à-dire être dans une mentalité de recherche de sa vitesse, de ne pas être limité dans ses angulations articulo-musculaires, d'avoir des capteurs en forme et être dans un état nerveux adéquat. Je propose de favoriser cet état par des activations de qualité précédées par un protocole pré-entraînement visant à favoriser l'homéostasie nerveuse et l'inhibition de réflexes archaïques perturbants la coordination. Sachant que la vitesse maximale dépend de l'état neuromusculaire du joueur, elle demande que celui-ci soit «alacrite donc frais», ce que je cherche par ailleurs à obtenir métaboliquement par gestion ondulatoire des charges lors des microcycles d'entraînement.
- avoir une mentalité vitesse signifie d’avoir la double intention lors de tous les mouvements demandés d’activer maximalement les 3 premiers appuis et de développer ses derniers en les rendant de plus en plus grands.
- répéter des séquences de vitesse maximale de 2-3s sans effort (20m) ou en toute décontraction. S'il y a blocage ou crispation gestuels, proposer que ces distances soient réitérées à 90%-95% de la vitesse maximale afin que le joueur puisse accéder à la sensation de vitesse maximale tout en prenant conscience qu'il n’est pas nécessaire de forcer ses mouvements pour atteindre cette vitesse.
- jouer avec différents niveaux de vitesse (par exemple, à travers des exercices in and out ou vite-lent-vite) dans une même séquence de déplacement en variant la fréquence et l’amplitude de foulée. Cette variation présente l'avantage de prévenir et de casser le phénomène de barrière de vitesse. Dans cet esprit, il s'agit de distinguer les séquences d'accélération avec un point de départ statique de celles qui bénéficient d’un élan de 5m à 10m..
- à abréger le temps de contact des appuis podaux tout en gardant ceux-ci en médio-pieds pour favoriser le maintien de l'équilibre postural et conduire le ballon. Pour illustrer cette obligation, il suffit d'expliquer qu'il s'agit de courir comme sur un champ de braise. Pour ne pas se brûler la plante des pieds, les appuis doivent être les plus brefs et délicats possibles.
- comprendre que la production de la vitesse maximale footballistique nécessite un redressement du torse et une extension des segments corporels. Cela implique d’aller au bout de l’amplitude des mouvements lorsqu’ils se finissent à la vitesse la plus élevée afin de projeter plus grandement le joueur dans l’espace désiré. La vitesse maximale footballistique demande donc d'éviter toute précipitation dans les mouvements en prenant le temps de les exécuter rapidement.
- comprendre que trouver sa vitesse maximale exige de marier adéquatement fréquence et amplitude de foulée. Sur la base d'une fréquence maximale, il revient au joueur de savoir régler son amplitude pour gérer les distances évolutives et consécutives aux positions du ballon, du jeu, des coéquipiers et des adversaires.
- considérer les bras comme un moyen de dynamisation de la vitesse maximale footballistique. Il s'agit, contre-intuitivement, de demander au joueur de diriger l'intention de mouvement de ses bras vers l'arrière, tout en gardant les épaules détendues et tombantes sur son tronc. Cela provoque un étirement excentrique des muscles de la coiffe des rotateurs et des biceps, les propulsant pliométriquement rapidement vers l'avant. Cela contribuera également à dynamiser le pointage de genou.
- à pointer leurs genoux vers l'avant haut au lieu de pousser leur foulée par des extensions trop prolongées de leur hanche.
- à faire des exercices de survitesse par traction sans altérer le cycle biomécanique de la foulée. Comme cet exercice est très traumatisant neuromusculairement et demande une maîtrise experte de sa vitesse, je lui préfère des séquences de vitesse se déroulant sur une pente descendante de 3% au maximum. Un pourcentage de pente plus élevé risque de perturber le design biomécanique de la course en créant des effets de leviers négatifs ou des freins.
- finir les activations d'entraînement et de match par des séquences de vitesse maximale sans crispation. D'une part, cela permet d'ancrer les sensations de la vitesse maximale par répétition, et d'autre part de mettre le joueur en mode vitesse ou intensité maximale pour les thématiques d’entraînement à venir.
[1] Frans Bosch, Préparation physique, une approche intégrée de l'entraînement de force et de coordination, Editions Physiques performances, Lyon, 2018. p.105.
[2] Alain Berthoz, Le sens du mouvement, Editions Odile Jacob, 2013.
[3] Bruno Patino, La civilisation du poisson rouge, Petit traité sur le marché de l'attention, Editions Grasset, 2019.
[4] Ceci en hommage à Jean-Luc Godard pour qui « aller au cinéma c'est lever la tête, alors que regarder la télévision, c'est la baisser ». Le premier nous grandit alors que la seconde nous rend servile. Que dirait-il aujourd'hui de nos écrans digitaux qui attirent nos regards encore plus vers le bas jusqu'à atteindre parfois par voyeurisme les bas-fonds de notre humanité ?
[5] L'affaire est devenue si grave que 40 Etats américains ont porté plainte contre META pour ses activités néfastes pour notre jeunesse.
[6] C'est certainement ce qui explique que de plus en plus de sprinters s'entraînent torse nu alors qu'il y a une dizaine d'année, cela était encore considéré contraire à la décence des stades.
[7] Jacques Piasenta, L’éducation athlétique, Editions Insep, 1988, p. 122.
[8] Franz Bosch, Préparation physique, une approche intégrée de l'entraînement de force et de coordination, Editions Physiques performances, Lyon, 2018. p.147 et ss.





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