Désactiver la « forcite » selon le principe « Less is more »
- xavierblanc

- 17 nov.
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Dans le football, la quête de la vitesse devient une obligation alors que son entraînement physique reste encore largement méconnu. C’est ce qui explique que certains préparateurs physiques footballistiques (PPF) développent cette qualité physique par les programmes de force musculaire. Pourtant, le post « La forcite : un des tue-l’amour de la vitesse footballistique » met en lumière un paradoxe fondamental… à trop vouloir développer la vitesse par la force, on finit par détruire la vitesse. Cette dérive, que je nomme la « forcite », désigne l’excès de force appliquée à des mouvements où la fluidité, la coordination et le relâchement devraient primer. Le joueur, persuadé que « forcer » son geste le rendra plus explosif, en vient au contraire à le rendre plus lent, plus raide, et donc moins efficace.

La « forcite » traduit une erreur de conception dans la préparation physique footballistique qui est de confondre la puissance avec la tension. En effet, la puissance n’est pas seulement la somme brute de la force x la vitesse, elle est aussi une expression de la coordination entre ces deux qualités. Le joueur qui pousse, tire, contracte de manière excessive perd la souplesse nécessaire à la transmission optimale des forces. Pour l’illustrer, je propose l’image d’une voiture à qui l’on demande d’accélérer tout en gardant le frein à main tiré ou sans passer les vitesses. L’énergie est présente, mais elle ne circule pas et donc ne s’exprime pas dans les mouvements désirés. Elle se dissipe par irradiation musculaire dans la résistance interne du corps.
Pour désactiver cette « forcite », il s’agit de rétablir une hiérarchie dans les principes de l’entraînement. C’est ici que le principe « Less is more » trouve toute sa pertinence. Dans la culture compétitive footballistique, où l’intensité et la surcharge sont souvent perçues comme des gages de progrès, ce principe agit comme une mise en garde « le plus n’est pas toujours mieux ». Appliquer le « Less is more » à la vitesse footballistique consiste à réduire les stimuli inutiles, à épurer les méthodes, à privilégier la qualité d’exécution plutôt que la quantité d’effort. L’objectif n’est pas d’affaiblir l’entraînement, mais de le rendre plus intelligent, plus spécifique, plus harmonieux… bref, plus efficient donc plus performant.
Dans cette perspective, l’idée générale est de chercher la facilité d’exécution et de la cultiver. Ce travail demande au joueur de prendre conscience de sa propre force, non pas dans une logique de dépassement permanent, mais dans une logique de maîtrise. Pour cela, il est essentiel de lui faire vivre l’expérience du geste juste, c’est-à-dire celui qui mobilise uniquement, donc spécifiquement, la force nécessaire à un mouvement, sans excès de tension. Dans la pratique, je demande par exemple aux joueurs d’exécuter un squat profond avec le moins d’effort possible, tout en respectant les critères techniques du mouvement. L’objectif est de leur faire ressentir qu’ils peuvent réaliser le geste demandé sans mobiliser plus d’énergie que nécessaire. Cet exercice provoque souvent une révélation. Ils découvrent que leur corps peut être performant sans être en lutte contre lui-même… ou le « forcer ».
Cette approche développe la confiance dans la capacité d’exécution des membres, en particulier des cuisses, qui n’ont plus besoin d’être suractivées pour être efficaces. En expérimentant cette économie d’effort, le joueur comprend qu’il lui reste une réserve de force latente, soit un potentiel qu’il peut mobiliser quand le jeu l’exige vraiment. Cela inverse la logique habituelle de la dépense maximale. Au lieu d’aller constamment à la limite, le joueur apprend à doser, à sentir, à ajuster pour repousser ses limites. Il devient capable d’exprimer la vitesse à partir d’un état de relâchement contrôlé, soit avec facilité, et non par une tension permanente. Cette prise de conscience corporelle constitue une étape fondamentale dans la désactivation de la « forcite ».
La vitesse footballistique ne se réduit pas à la seule vitesse linéaire d’une accélération. Elle dépend d’une multitude de facteurs tels que la posture, la lecture du jeu, la réactivité neuromusculaire, la capacité à se relâcher entre deux contractions, la gestion des appuis et des changements de direction. Travailler exclusivement la force, sans intégrer ces variables, revient à isoler un maillon de la chaîne motrice et à la rendre inopérante. Le corps du joueur devient alors « fort, mais bloqué ». Il dispose d’une puissance musculaire réelle, mais ne sait plus l’utiliser dans la temporalité et la gestuelle du jeu. L’excès de tension se traduit par une gestuelle forcée, des crispations visibles, dont des épaules remontées, des mâchoires et des poings serrés, des mouvements heurtés, qui altèrent la fluidité du geste et ralentissent l’exécution motrice.
Le « Less is more » invite ainsi à une réhabilitation du relâchement, notion souvent négligée dans la formation des joueurs. Savoir se détendre n’est pas un signe de faiblesse, mais une condition essentielle de la vitesse. Les entraîneurs de sprint le savent. La rapidité naît du relâchement soit de la capacité technique à activer sans surcontracter. Dans cette perspective, désactiver la « forcite » revient à éduquer le corps à produire un effort facile et efficient, c’est-à-dire juste, proportionné, et surtout coordonné. C’est un travail de finesse sensorielle et non de volume d’entraînement.
L’entraînement, dans cette optique, doit être fonctionnel. Il s’agit de replacer la force dans un contexte de mouvement global, de gestuelle footballistique coordonnée intermusculairement par la vitesse-force et non dans des séries mécaniques de charges lourdes de coordination intramusculaire. Les exercices d’isolation par de la musculation guidée, s’ils ne sont pas contextualisés, risquent de rigidifier la chaîne musculaire. À l’inverse, les exercices polyarticulaires, les accélérations courtes, la vitesse lancée, les changements de direction, les sauts réactifs ou encore les séquences de coordination entre vitesse et dribble permettent de reconnecter la force à son usage réel qui est la performance motrice spécifique. Dans cette logique, la qualité d’exécution et la sensation de fluidité doivent primer sur la quantité de répétitions ou la charge soulevée.
Adopter cette approche « qualitativement minimaliste » exige cependant une réelle expertise coordinative. Réduire l’intensité brute ne signifie pas réduire la rigueur, parce que cette réduction c’est justement de la rigueur. Le « Less is more » n’est pas une invitation à faire moins, mais à faire mieux ou exceller. Il vise à optimiser par l’efficience chaque composante de la préparation en ajustant le dosage des efforts et en respectant les rythmes de récupération. La production de la vitesse footballistique doit intégrer la dimension technique, posturale et neuromusculaire pour l’extraire. C’est à cette condition qu’elle peut s’exprimer pleinement sur le terrain.
L’enjeu pour les PPFs est donc de renverser la logique instituée. Il s’agit de ne plus considérer la force comme une fin en soi, mais comme un outil au service d’une vitesse libre. La véritable vitesse footballistique ne s’obtient pas en ajoutant de la force, mais en retirant tout ce qui l’entrave, soit la rigidité, les disbalances, la crispation, la peur de manquer de puissance et la surforce. En d’autres termes, désactiver la « forcite », c’est retrouver la liberté du mouvement. C’est permettre au joueur de s’exprimer sans résistance interne, de faire confiance dans la force mécanique naturelle de ses membres, de mobiliser sa force latente enfermée plutôt que d’en créer inutilement, et de redécouvrir la joie d’une vitesse facile, fluide et maîtrisée.
Ainsi, le principe « Less is more » n’est pas seulement un critère performatif de l’entraînement physique footballistique, mais devient une philosophie d’entraînement. En privilégiant la simplicité, la justesse et la facilité d’exécution par le moindre effort, il ouvre la voie à une nouvelle conception de la performance de la force. Celle où la puissance n’est plus une tension accumulée, mais une énergie qui circule. Le joueur rapide, quel que soit son niveau de vitesse, n’est pas celui qui « force », mais celui qui sait laisser sa vitesse advenir et la vivre sensoriellement sans tensions superflues.





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