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De la pensée conditionnée à la pensée critique footballistique

  • Photo du rédacteur: xavierblanc
    xavierblanc
  • 26 juin
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 16 sept.

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En raison d'une concurrence vive et croissante, liés aux enjeux du football, ses acteurs sont contraints de faire évoluer leurs compétences pour rester dans le jeu. Les outils traditionnellement utilisés pour progresser sont : l’apprentissage auprès des institutions expertes, l’imitation des méthodes des vainqueurs, l’expérience du terrain ou encore l’investissement dans le digital. Ce dernier servant la plupart du temps de béquille pour mieux calibrer les charges d'entraînement et décrypter le jeu ainsi que les joueurs adverses.


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Ces interventions présentent toutefois trop souvent le défaut majeur d’être des solutions toutes faites. Leur validité repose alors sur le conformisme, c’est-à-dire sur le fait de penser ou d’agir comme tout le monde. Donc on adopte une manière de faire parce que tout le monde l’utilise. Ce conformisme limite la remise en question, ce qui freine l’innovation, pourtant essentielle au progrès. Mais si ce conformisme footballistique persiste, c’est bien qu’il repose sur des raisons solides. J’en identifie deux principales. Il permet, d’une part, de garder la maîtrise d’un football devenu de plus en plus complexe, et d’autre part, il protège contre les erreurs.


Le conformisme permet de maîtriser la complexité

Le football est de mieux en mieux compris. Ce savoir, qui devrait en faciliter l’entraînement, le rend paradoxalement plus complexe, augmentant ainsi l’incertitude quant aux effets des méthodes employées. En réponse, les équipes techniques s’étoffent : les staffs se démultiplient et chaque membre devient un spécialiste. Cette segmentation des compétences, et, par conséquent, des domaines d’intervention, nécessite un surcroît de coordination. Elle engendre également des jeux de pouvoir qu’il convient de réguler, afin d’atteindre l’objectif fixé grâce à la synergie positive des compétences mobilisées.


Pour garder le contrôle sur cette complexité, on la fige dans le temps en définissant une philosophie d’intervention inscrite dans le marbre des manuels de formation. L’objectif conscient, mais la plupart du temps inconscient, est que cette philosophie devienne une doxa, s’imposant à tous. Mais dès lors que cette institutionnalisation devient exclusive, c’est-à-dire qu’elle n’intègre pas en elle-même une culture de la remise en question, elle fige l’évolution du savoir et suspend son progrès.


Cet « arrêt sur le savoir » consiste concrètement à imposer ses propres définitions de la Chose. En maîtrisant le vocabulaire footballistique, on façonne sa pratique. À ce titre, les définitions deviennent une source de pouvoir. Elles créent une réalité et permettent ainsi à ceux qui l'institue de conserver la main sur la Chose, ce qui institue et consolide leur statut d’autorité. Cela peut expliquer, au sein des clubs ou des fédérations, l’émergence de kakistocraties footballistiques soit un type d’organisation qui refuse par principe « ceux qui ne sont pas comme nous ».


Cet « arrêt sur le savoir » présente l’avantage de pouvoir standardiser les connaissances, facilitant ainsi leur diffusion sous forme de recettes toutes faites. Selon un responsable et formateur footballistique cantonal, ces recettes sont utiles pour compenser les déficits cognitifs des entraîneurs. Cela sous-entend qu’ils seraient incapables de réfléchir et de penser par eux-mêmes le et leur football. L’objectif devient alors d’en faire de simples, mais bons exécutants. Or, d’une part, le football mérite infiniment mieux que des formateurs condescendants, et d’autre part, réfléchir son football s’apprend méthodologiquement, notamment grâce à l’outil de la pensée critique.

 

Le conformisme protège

En se conformant à la doxa dominante, on élimine le risque d’avoir tort ou d’être accusé, en tant que bouc émissaire, d’être la cause d’un insuccès. En effet, si tout le monde fait la même chose, alors cette chose est, par définition, considérée comme juste, ce qui dédouane de toute faute. C’est ainsi que l’on persiste à réaliser sur le terrain des interventions absurdes que l’on sait pourtant peu pertinentes, mais que l’on exécute malgré tout. Le conformisme rend alors l’insuccès imputable à une approche partagée et non au PPF. Cette impunité est particulièrement précieuse dans un domaine aussi instable que le football où la critique gratuite, soit non pensée et sans fondements autres qu'une opinion ou un avis, est presque un sport dans le sport. Enfin, notons que ce conformisme est aussi une ressource dans le sens qu’il permet d’obtenir des postes à responsabilité.


Intégrer la critique en tant que processus de qualité

Dans ce contexte, l’écosystème footballistique résout arbitrairement la contradiction de ceux qui pensent autrement, en les excluant du « Game » en ignorant leur parole. Surtout lorsque leurs propos, même s’ils sont fondés, remettent en cause la hiérarchie et les compétences en place, ce qui est perçu comme une forme de violence symbolique. Cela s’exprime par la pensée silencieuse, « Mais elle-il se prend pour qui pour me faire ainsi la leçon ? ».


À la décharge du fonctionnement de cet écosystème, il faut reconnaître la difficulté de faire le tri entre le futile et le pertinent, ou le blé et l’ivraie, dans le savoir physique footballistique, tant les nouvelles techniques et approches d’entraînement émergent chaque jour. Face à ce gloubi-boulga technique, il peut sembler plus simple, et plus sûr, de tout rejeter en bloc, en restant hermétique aux innovations sachant qu’il n’y a pas une Vérité dans la préparation physique footballistique. Mais cette posture crée inévitablement un retard sur la concurrence. Bref, cet entre-soi, en s’auto-alimentant, conduit entropiquement à l’auto-goal.


La solution consiste à sortir du conformisme, soit d’une pensée conditionnée, en intégrant la pensée critique au cœur du système. Pour faire un parallèle contemporain, il ne s’agit plus d’utiliser l’intelligence artificielle générative de manière consommatoire et aveugle, mais de comprendre son fonctionnement et ses conséquences, notamment sur notre cerveau, afin de préserver notre libre arbitre, autrement dit, de ne pas en devenir un esclave.


Je propose donc que cette compréhension passe par l’objectivation de son savoir par la pensée critique. La pensée critique est une méthode rigoureuse de recherche de vérité, de bon sens et de justesse. Elle permet aussi d’évaluer ses propres compétences ce qui les objectivent, c’est-à-dire de savoir ce qui nous appartient de ce qui nous est imposé sans même que l’on s’en rende compte. Néanmoins, l’utiliser ne signifie pas rejeter le savoir institutionnalisé, mais de l’enrichir pour obtenir plus de qualité performative de son entraînement physique footballistique. C’est ainsi que l’on extirpe ce dernier de ses zones d’ombre et d’incertitude, donc de ses espaces vides de sens et de principes éprouvés d’intervention, qui profitent à la malveillance et à l’incompétence crasse.


Critiquer pour objectiver notre savoir

La pensée critique est « la capacité à réfléchir de manière rigoureuse, autonome et lucide face à une information, une situation ou une opinion ». Elle consiste à ne pas accepter ce que l’on entend ou lit sans l’examiner attentivement, en s’interrogeant sur la fiabilité des sources, la logique des arguments, et les éventuels biais ou influences en jeu.


Elle repose sur plusieurs principes fondamentaux : le questionnement constant, l’analyse logique, la vérification des sources, le doute constructif, et la capacité à prendre du recul par rapport à ses émotions ou croyances personnelles. Développer une pensée critique, c’est apprendre à distinguer les faits des opinions, à repérer les erreurs de raisonnement et à rester ouvert à la remise en question.


Cette méthode de réflexion a pour objectif de renforcer l’autonomie intellectuelle, de mieux argumenter nos idées, de prendre des décisions plus éclairées, de se libérer de ses biais cognitifs et de résister aux manipulations ou aux idées toutes faites. Elle ne cherche toutefois pas à « douter de tout », mais à comprendre avant de juger et à agir de manière plus consciente et responsable.


En pratique, la pensée critique s’appuie sur des outils comme le questionnement socratique, l’analyse des arguments, la reconnaissance des biais cognitifs, l’écoute active et la confrontation à des points de vue contradictoires.


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En somme, penser de manière critique, c’est choisir de ne pas se contenter de croire ou de suivre par une pensée conditionnée, mais de comprendre et de décider par soi-même. C’est au final être en capacité de débattre par des arguments objectifs au lieu de se battre par des opinions subjectives.


Déconstruire les croyances : endurance ou vitesse ?

Un exemple emblématique de pensée conditionnée dans la sphère footballistique est la croyance selon laquelle « le football est physiquement un sport d’endurance ». Cette affirmation, largement répandue dans les clubs, les formations et les discours médiatiques, semble aller de soi : les joueurs courent en cumulé entre 10 et 13 kilomètres ou marchent pendant 90mn à 7km/h par match. Cette donnée, chiffrée, rassure. Elle sert de boussole aux PPFs et justifie un développement quantitatif des capacités des joueurs.


Mais cette croyance n’est-elle pas devenue une vérité de confort, un raccourci intellectuel ? À y regarder de plus près, cette approche généralise une caractéristique du jeu sans distinguer ses différents niveaux et types de pratique. C’est là que la pensée critique intervient.


En soumettant cette définition à la question, on se rend compte que la performance footballistique ne se joue pas sur la qualité aérobique, mais sur la répétition d’efforts explosifs de courte durée tels que des sprints, des démarrages, des courses à haute intensité, des changements de direction, des duels en vitesse. Toutes les données issues du tracking GPS et de la science du match le confirment. Ce qui fait la différence dans le football masculin, c’est la capacité de répéter des actions explosives avec un minimum de récupération. Ce sont ces actions qui déséquilibrent, créent les occasions et décident des matchs.


Dès lors, la pensée critique ne rejette pas l’endurance, mais elle la relativise. Elle redéfinit physiquement le football non pas comme un sport d’endurance, mais comme « un sport de vitesse ». L’endurance n’est alors plus un objectif en soi, mais un soutien à la capacité de produire et reproduire de la vitesse, de la puissance, de la réactivité.


On pourrait même aller plus loin. Dans le football masculin de haut niveau, la vitesse devient « l’identité physique du jeu ». Elle est devenue la monnaie d’échange du temps et de l’espace. C’est la capacité à aller plus vite que l’adversaire dans le déplacement qui fait la différence.


Cette redéfinition du paradigme du physique footballistique a des implications concrètes. Elle remet en cause les routines et les calibrages d’entraînement, déplace les priorités de la préparation physique et transforme le regard porté sur les profils de joueurs. Elle bouscule aussi des générations de formateurs ancrés dans un référentiel dépassé.


Ainsi, en partant d’une définition consensuelle, « le football est physiquement un sport d’endurance » pour aller vers « le football est physiquement un sport de vitesse », la pensée critique permet non seulement de nuancer, mais surtout de transformer profondément la manière d’entraîner le physique footballistique, de recruter, d’observer et même de penser le jeu. Elle permet aussi de contextualiser la chose questionnée. Par exemple, le football féminin serait physiquement « un sport de puissance », parce que c’est cette qualité qui fait physiquement la différence dans ce football.


Appliquer la pensée critique à toutes les composantes du football

Ce que révèle l’analyse critique de la définition physique du football vaut tout autant pour les autres composantes fondamentales du jeu : la tactique, la technique et le mental. Car si le physique est souvent mal défini, ces trois autres composantes souffrent du même flou, des mêmes confusions et de la même habitude d’en parler sans jamais les « penser » réellement. Cela a pour conséquence fâcheuse et malheureuse que les techniciens technico-tactiques, ou les entraîneurs du football, expliquent aux PPFs le physique footballistique par les composantes tactique et/ou technique.


Prenons un exemple courant : combien de fois entend-on dire qu’un joueur « manque de mental » alors qu’il s’agit en réalité d’un déficit de lecture de jeu (donc tactique), ou de confiance en sa technique (donc technique) ? Combien de séances dites « tactiques » consistent en réalité à répéter des circuits techniques sans adversité ni prise de décision, donc ni réellement tactiques, ni réellement pertinentes ? Ces glissements de sens sont le fruit d’une pensée conditionnée, paresseuse parfois, désarmée souvent, qui ne distingue plus ce qu’il faut entraîner de ce que l’on croit entraîner.


La pensée critique, encore une fois, propose une alternative en clarifiant, distinguant, définissant. Elle oblige à se demander ce qui relève vraiment du registre tactique, de la technique ou du mental. Et surtout, elle interdit de définir une composante par une autre composante.


C’est là tout l’enjeu... savoir précisément ce que l’on veut entraîner. Car mal définir, c’est mal concevoir, et donc mal construire les contenus. Si l’on confond la technique avec la tactique, on fera faire des passes stériles ; si l’on confond le mental avec le physique, on poussera les joueurs à bout sans jamais résoudre le vrai problème. Et ce flou profite à l’idéologie dominante, car elle ne peut pas dans ces conditions être remise en question. Elle occupe alors l’espace du savoir par des formules vagues, mais imposées comme vérités.


En opposant à cela une démarche rigoureuse et lucide, la pensée critique propose de redonner à chaque composante sa juste place, son contenu spécifique, ses exigences propres. Elle ne cloisonne pas, elle distingue assertivement pour mieux articuler systémiquement. Et cette articulation devient la base d’une méthodologie d’entraînement cohérente, pertinente, et surtout responsable. On sait « ce que l’on entraîne, pourquoi, et comment. »


Ainsi, vraiment penser le football, c’est refuser les amalgames, c’est questionner les évidences, c’est restituer à chaque domaine sa logique interne et donc c’est redonner du pouvoir réel à l’entraîneur. Celui de comprendre par la pensée critique, plutôt que de reproduire par la pensée conditionnée. Dans cette logique, la critique, qui est donc une méthode de réflexion, est une ressource précieuse pour écouter et entendre, donc respecter, parce qu’elle nous permet de faire mieux pour le bonheur des joueurs. À ce titre, la pensée critique devrait même être enseignée comme méthode d’apprentissage et d’acquisition du savoir footballistique.

 

En conclusion

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Que ce soit la pensée critique ou une autre méthode réflexive d’auto-évaluation, la concurrence footballistique demande désormais d’intégrer dans les processus de formation et de réflexion la remise en question en tant méthode pour mieux apprendre. Autrement dit, d’apprendre à apprendre.

 

L’idée n’est pas de changer de système, donc de changer les maîtres du jeu, mais que les connaissances de ce système le fassent évoluer positivement en intégrant et en valorisant dans son processus de qualité ; la pensée critique.

 

 
 
 

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