Les « transferts » n’existent pas dans la préparation physique footballistique
- xavierblanc

- 24 nov.
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Le physique footballistique a longtemps été influencé par des modèles d’entraînement issus de la préparation des sports individuels, dont principalement celui de l’athlétisme. Ces modèles, hérités en partie de l’école soviétique, reposent sur l’idée d’une périodisation linéaire dans laquelle les qualités physiques générales sont d’abord développées en volume, et par blocs hebdomadaires pour les sports collectifs, puis spécialisées ou affûtées, par plus d’intensité pour qu’elles « se transforment » en performance de match [1].
Or, ce type de planification est remis profondément en question à cause de l’inexistence de telles transformations que l’on nomme « des transferts entre et dans les qualités physiques ». Des approches, issues de la biomécanique, de la neurophysiologie du mouvement et des sciences de l’action située, contestent l’idée qu’une qualité puisse se transformer par simple spécialisation en une qualité plus spécifique. Ces travaux montrent que la performance footballistique repose avant tout sur les organisations coordinatives des joueurs.
Les bases et les limites « d’un transfert »
Le physique footballistique dans son ensemble considère, ou accepte inconsciemment, qu’une qualité physique (force, endurance, vitesse) peut être développée isolément, puis « être transformée » en une qualité plus spécifique via une intensification croissante d’exercices. Le concept de la planification de l’entraînement physique footballistique se structure alors selon l’option d’intensifier l’extensif selon le processus suivant :
1. Développement d’un socle général de condition physique
2. Spécialisation progressive des qualités physiques par intensification des charges et réduction de leurs volumes
3. Transferts supposés des progrès des qualités physiques vers la performance physique footballistique par l’entraînement et les matchs
Cette approche postule de fait une continuité mécanique entre les formes de force, d’endurance, respectivement de vitesse. À ce titre, la force maximale servirait de base à la force explosive, ou plutôt du taux de la montée de la puissance musculaire, qui elle-même se spécialiserait en force fonctionnelle pour les actions footballistiques. De même, en l’absence de séances de vitesse footballistique, ce sont les exercices d’intensification de l’endurance qui entraînent en creux les joueurs vers des niveaux de vitesses footballistiques maximales plus élevées.
Or, ces continuités sont théoriques plutôt que mécaniques. Les différentes formes de force reposent sur des coordinations internes spécifiques, non interconvertibles. Cela montre que les déterminants de la vitesse (orientation de l’énergie cinétique, compliance musculaire, timing segmentaire) ne dépendent pas du développement préalable de la force maximale, mais d’organisations mécaniques particulières au sport pratiqué.
Du côté de l’endurance, l’intensification d’un entraînement intermittent n’améliore pas la vitesse footballistique maximale. Elle développe d’autres qualités énergétiques, telles que les facultés quantitatives et qualitatives de récupération inter-effort, mais non la capacité en tant que telle à répéter de la vitesse maximale ou à exprimer rapidement de fortes contraintes mécaniques.
L’impossibilité d’une transformation à cause de la rupture mécanique entre les qualités
Contrairement à la doxa actuelle, irrémédiablement bientôt obsolète, les différentes formes de force ne se transforment pas les unes dans les autres. Elles coexistent, mais ne se convertissent pas. À ce titre, la force maximale est une production intramusculaire volontaire, à contraction lente, bipodale et stable, alors que la force spécifique footballistique est un agencement intermusculaire rapide, réactif, dynamique, la plupart du temps unipodal, soumis à des contraintes, notamment d’équilibration, variables et incertaines, dominé par des boucles neuromotrices automatiques ou réflexes.
Ces deux formes obéissent à des architectures neuromusculaires distinctes. Cela signifie qu’il n’existe pas de mécanisme permettant une transformation de l’une vers l’autre. On observe seulement une superposition, respectivement une juxtaposition, lors de leur production commune par coordinations inter et intra-musculaire d’un mouvement.
Le même raisonnement s’applique à l’endurance. Les travaux de reprise d’intensité améliorent les capacités métaboliques générales (VO₂max et clairance lactique), mais ils n’augmentent pas la vitesse maximale. Plus précisément, quel que soit leur niveau d’intensité, ces types d’exercices ne l’améliorent pas parce qu’ils ne modifient pas les déterminants mécaniques du déplacement en ne recrutant pas spatialement et temporellement les fibres musculaires dites rapides (IIa et IIx).
Cela signifie qu’elle doit être entraînée par elle-même dès le premier jour des phases de préparation. Son niveau d’entraînabilité est alors calibré sur la base du niveau de la vitesse maximale footballistique du joueur et non sur son pourcentage de la vitesse maximale aérobie (VMA).
L’apport décisif des théories de la coordination
Frans Bosch [2] affirme que la performance dépend avant tout de la coordination intersegmentaire, c’est-à-dire de la façon dont les segments corporels s’ordonnent et coopèrent sous contrainte. Pour lui, la force n’est pertinente que si elle est organisée, soit spécifique, non si elle est augmentée. Les adaptations motrices se produisent dans des environnements riches en perturbations, non dans des contextes stables. Les schémas moteurs spécifiques émergent d’une interaction entre le joueur et son environnement, et non d’une progression linéaire. Cette perspective invalide l’idée de transformation progressive, car la coordination ne dérive pas d’une qualité générale, mais de la résolution répétée de problèmes moteurs.
Pour leur part, les travaux de Davids, Araújo, Newell et Seifert [3] montrent que la performance est une émergence adaptative, résultant de la dynamique joueur–tâche–environnement. Ces approches démontrent que les qualités isolées sont de mauvais prédicteurs de la performance, que la coordination ne peut être produite par accumulation de qualités et que l’entraînement doit favoriser l’exploration et la variabilité fonctionnelle pour généraliser les capacités coordinatives fines. Ainsi, la notion de transformation des qualités physiques y est théoriquement non sagace.
La seule qualité de « l’entraînement par transfert », c’est qu’il offre un espace de récupération-régénération qui créé la forme
Les pics de forme observés après des phases intensives ne proviennent pas « d'un hypothétique transfert », mais du mécanisme de la restauration de la fraîcheur neuromusculaire et de l’évacuation de la fatigue résiduelle [4] ainsi que par cette période d’affûtage où enfin on entraîne les capacités coordinatives des joueurs. Autrement dit, si les phases intensives fatiguent, le repos post-intensité produit une remontée de la performance, ce qui est interprété à tort comme un transfert qualitatif des qualités physiques. Il s’agit, en effet, d’une amélioration quantitative de la forme par moins de fatigue, mais non qualitative par une amélioration des capacités par affûtage spécifique.
En synthèse
La notion de transfert par spécialisation, ou de transformation d’une qualité par et en une autre plus spécifique, bien que dominante actuellement dans la préparation physique footballistique, ne résiste plus à une analyse même grossière. Les formes de force, de vitesse ou d'endurance reposent sur des organisations mécaniques et neuromotrices profondément distinctes, qui ne se convertissent pas les unes dans les autres et entre elles. La performance footballistique dépend alors essentiellement de la coordination et de la capacité du joueur à résoudre des problèmes moteurs sous contrainte. L’idée qu’une qualité générale puisse être transformée en qualité spécifique est donc théorique, mais non démontrée, même si elle arrange beaucoup de préparateurs physiques footballistiques en simplifiant leur logique d’intervention.
Les nouvelles connaissances invitent à repenser l’entraînement physique footballistique non comme une succession hebdomadaire de blocs de qualités physiques que l’on spécialise d’une semaine à l’autre, mais comme une orchestration contextuelle systémique qui favorise l'émergence de comportements moteurs performants. La coordination, la variabilité fonctionnelle et la gestion de la fatigue par les facultés de récupération inter-effort apparaissent alors comme les véritables leviers de la préparation physique footballistique.
En résumé, la préparation physique footballistique s’est longtemps appuyée pour sa planification des charges linéaire et de son processus d’amélioration sur le dogme du « transfert ». Soit le développement de qualités générales, que l’on spécialise par plus d’intensité afin de produire des adaptations plus performantes. Ce post critique ce modèle, en convoquant grossièrement la littérature, la biomécanique, la neurophysiologie qui invalident la logique d’une transformation par plus de spécificités des qualités physiques. L’analyse indique que les qualités de force, de vitesse ou d’endurance sont non transformables en une autre qualité, car elles reposent sur des mécanismes distincts. À ce titre, la coordination est un déterminant majeur de la préparation physique footballistique dont les gains de performance observés proviennent trop souvent de la réduction de la fatigue que d’un supposé, mais non avenu, « transfert qualitatif » dans et entre les qualités physiques.
Bibliographie
[1] G. Cometti, La préparation physique en football, Chiron, 2002.
[2] Frans Bosch, Préparation physique, une approche intégrée de l'entraînement de force et de coordination, Editions Physiques performances, Lyon, 2018. Frans Bosch, Anatomie de l'agilité, Frans Bosch & Physiques Performance Editions, 2023.
[3] L. Seifert, C. Button, K. Davids, Key properties of expert movement systems in sport. Sports Medicine, 43, 167–178. 2013.
[4] F. Dambroz, F-M. Clemente, I. Teoldo, The effect of physical fatigue on the performance of soccer players: A systematic review, Plos, 2022.





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